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Andrej Babis Revient au Pouvoir en Tchéquie

À 71 ans, le milliardaire Andrej Babis retrouve le fauteuil de Premier ministre tchèque grâce à une alliance avec l’extrême droite. Promesses sociales, distance avec l’Ukraine, critiques de Bruxelles… Mais jusqu’où ira cette nouvelle coalition ? La réponse risque de secouer l’Europe entière…

Imaginez un homme d’affaires devenu milliardaire sous le communisme, accusé d’avoir collaboré avec la police secrète, poursuivi pour fraude européenne, et qui, malgré tout, revient triomphalement au pouvoir en s’alliant avec l’extrême droite. Cette histoire n’est pas un scénario de série politique. Elle vient de se produire en République tchèque.

Un retour inattendu mais calculé

Mardi matin, dans la salle espagnole du Château de Prague, Andrej Babis a prêté serment devant le président Petr Pavel. À 71 ans, l’ancien Premier ministre (2017-2021) retrouve officiellement son ancien poste, deux mois après la victoire de son mouvement ANO aux législatives d’octobre.

Son parti a obtenu 80 sièges sur 200, loin de la majorité absolue. Pour gouverner, il a donc dû conclure un accord avec deux formations ouvertement eurosceptiques : le SPD de Tomio Okamura (extrême droite) et le parti La Voix des automobilistes, emmené par le controversé Filip Turek.

Le président Pavel, ancien général OTAN pourtant farouche opposant à Babis, n’a pas eu d’autre choix que de le nommer. La démocratie parlementaire a parlé.

Une campagne axée sur les Tchèques d’abord

Pendant la campagne, le message était limpide : augmenter les retraites et les aides sociales, réduire drastiquement l’aide à l’Ukraine, stopper l’immigration illégale et défendre les intérêts nationaux avant tout.

Babis a répété à l’envi qu’il voulait « faire passer les Tchèques d’abord ». Un slogan qui rappelle étrangement celui d’un certain Donald Trump aux États-Unis, dont il ne cache pas l’admiration.

« Je promets à tous les citoyens de la République tchèque de défendre leurs intérêts, tant au niveau national qu’international »

Andrej Babis, le jour de son investiture

Malgré cette rhétorique souverainiste, il a tenu à rassurer Bruxelles dès le lendemain des élections en affirmant sa loyauté envers l’Union européenne. Un exercice d’équilibriste qu’il maîtrise depuis dix ans.

Une coalition qui inquiète l’Europe

Le vrai changement vient de ses alliés. Le SPD et La Voix des automobilistes partagent avec Viktor Orban et Robert Fico une vision très critique de l’aide militaire à Kiev et des sanctions contre Moscou.

La République tchèque, jusqu’ici l’un des plus fidèles soutiens de l’Ukraine en Europe centrale, pourrait donc adopter une position bien plus tiède, voire hostile, dans les mois à venir.

Ce virage s’inscrit dans un mouvement plus large : le groupe « Patriotes pour l’Europe » au Parlement européen, dont font partie Orban, le RN français et désormais plusieurs élus ANO, gagne chaque jour en influence.

Le cas Filip Turek, un ministre très controversé

Parmi les futurs ministres, une nomination fait particulièrement polémique : Filip Turek, leader de La Voix des automobilistes, pressenti à l’Environnement.

Cet ancien pilote automobile fait l’objet d’une enquête pour violences domestiques et viol après la plainte d’une ex-compagne. Il a également été visé (sans suite) pour des saluts nazis et des messages racistes ou homophobes sur les réseaux sociaux.

Le président Pavel a publiquement exprimé ses réserves. La nomination définitive reste suspendue à son approbation.

Conflits d’intérêts : la question qui ne disparaît jamais

Pour être nommé, Babis a dû répondre à l’exigence majeure de Petr Pavel : régler ses conflits d’intérêts avec son empire Agrofert, géant de l’agroalimentaire et de la chimie.

La solution annoncée : il transfère ses parts à une structure indépendante en attendant que ses enfants en héritent. Une manœuvre qui satisfait formellement le président, mais laisse de nombreux observateurs sceptiques tant les précédents arrangements ont été critiqués.

Babis reste poursuivi pour une affaire de fraude aux subventions européennes datant de 2007 (affaire du « Nid de cigogne »). Il dénonce une persécution politique.

Par ailleurs, les archives slovaques continuent de le désigner comme ancien agent de la StB, la police secrète communiste, sous le nom de code « Bureš ». Accusation qu’il rejette avec la dernière énergie.

Un parcours hors norme

Né à Bratislava en 1954, Andrej Babis a grandi sous le régime communiste tchécoslovaque. Après la Révolution de Velours, il fonde Agrofert en 1993 et devient rapidement l’un des hommes les plus riches du pays.

En 2011, lassé par la classe politique traditionnelle, il crée ANO (« Oui » en tchèque), un mouvement attrape-tout qui explose aux élections de 2013.

Quatre ans plus tard, il est Premier ministre. Perd le pouvoir en 2021 après une courte défaite, échoue à la présidentielle de 2023 face à Petr Pavel, puis revient en force en 2025.

Un phénix politique qui semble indestructible.

Quelles conséquences pour l’Europe centrale ?

Avec Orban en Hongrie, Fico en Slovaquie et désormais Babis à Prague, le « bloc de Visegrád » version souverainiste est presque reconstitué.

Cette alliance informelle pourrait compliquer les décisions européennes sur l’Ukraine, les sanctions russes, la transition énergétique ou encore la règle de l’unanimité.

En République tchèque même, l’opposition libérale et pro-européenne, emmenée par la coalition Spolu, promet une vigilance totale et des manifestations si les libertés démocratiques étaient menacées.

Une chose est sûre : les deux prochaines années s’annoncent agitées à Prague et à Bruxelles.

Résumé des points clés du nouveau gouvernement Babis III :

  • Majorité fragile : 80 sièges ANO + SPD + Voix des automobilistes
  • Promesses phares : hausse des aides sociales, réduction aide Ukraine
  • Alliance avec partis eurosceptiques et anti-immigration
  • Conflits d’intérêts supposément réglés via fiducie
  • Ministre pressenti Filip Turek sous enquêtes pénales
  • Rapprochement probable avec Budapest et Bratislava

L’histoire d’Andrej Babis n’est pas terminée. Elle continue d’écrire, jour après jour, l’un des chapitres les plus mouvementés de la démocratie tchèque contemporaine.

Et quelque chose nous dit que les prochains rebondissements ne tarderont pas.

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