Dans un verdict historique, la justice allemande a condamné mercredi un ancien chef de milice syrienne pro-gouvernementale à une peine de 10 ans de réclusion pour son implication dans des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis pendant la guerre civile qui ravage la Syrie depuis plus d’une décennie. Cet homme de 47 ans, dont l’identité n’a pas été révélée, a été reconnu coupable d’une série d’exactions, dont des actes de torture, séquestration, asservissement, coups et blessures et extorsions de fonds.
Arrivé en Allemagne en 2016 au plus fort de la crise migratoire, l’accusé occupait un rôle important au sein de la milice « Chabiha », un groupe paramilitaire à la solde du régime du dictateur syrien Bachar el-Assad. Déployée à Damas, cette milice était chargée de mater dans le sang les velléités de révolte de l’opposition. Selon les éléments avancés par le parquet fédéral allemand, le condamné, désigné sous le nom d’Ahmad H., a directement participé à l’enlèvement de dizaines de personnes contraintes aux travaux forcés près des lignes de front.
Des atrocités sur fond de conflit fratricide
Les victimes, privées de nourriture et d’eau, étaient forcées de transporter des sacs de sable pour ériger des fortifications, les exposant ainsi aux tirs croisés des belligérants. Dans un autre exemple glaçant cité par l’accusation, Ahmad H. aurait veillé personnellement à ce qu’un prisonnier soit passé à tabac à l’aide de tubes en plastique. Des méthodes qui illustrent la cruauté des exactions commises par les milices loyalistes dans leur volonté d’écraser toute contestation du régime honni de Damas.
Cette condamnation, qui survient après plusieurs années de traque et d’enquête, met en lumière le rôle clé joué par l’appareil judiciaire allemand dans la répression des crimes internationaux. Forte du principe de compétence universelle, la justice d’outre-Rhin n’a pas hésité, ces dernières années, à poursuivre des ressortissants syriens et irakiens pour leur implication présumée dans des crimes de guerre et contre l’humanité, quand bien même ceux-ci ont été perpétrés à des milliers de kilomètres de son territoire.
L’Allemagne, terre d’asile et de justice
Le zèle des procureurs allemands ne doit rien au hasard. Terre d’accueil de centaines de milliers de réfugiés syriens depuis 2015, l’Allemagne a très tôt pris la mesure de l’ampleur des atrocités commises dans ce conflit fratricide qui a fait plus de 500 000 morts et jeté sur les routes de l’exil des millions de civils. En ouvrant ses portes aux rescapés de la guerre, Berlin a aussi permis de recueillir de précieux témoignages sur les violations des droits humains perpétrées par le régime et ses affidés.
C’est d’ailleurs sur la base d’informations fournies par des témoins et des ONG que la justice allemande a pu remonter la piste d’Ahmad H. Selon le Centre syrien de justice et de responsabilité (SJAC), basé à Washington, qui compile les atteintes aux droits humains en Syrie, l’arrestation de ce tortionnaire présumé en août dernier s’est appuyée sur une enquête menée par l’organisation. Dès 2020, le SJAC avait été informé par un témoin de la présence en Allemagne de celui qu’on surnommait « le Bulldozer » pour son rôle dans la répression.
Lutter contre l’impunité des bourreaux
Au-delà du cas d’Ahmad H., dont la condamnation reste sujette à appel, ce procès illustre la détermination de la justice européenne à ne pas laisser impunis les crimes commis en Syrie. Des procédures similaires ont été lancées ces dernières années en France et en Suède contre des membres présumés de l’appareil répressif de Damas ou de groupes qui lui sont affiliés. Une façon de pallier l’inaction de la justice internationale, paralysée par les vetos russes et chinois au Conseil de sécurité de l’ONU.
La condamnation d’Ahmad H. envoie un message fort à tous les bourreaux qui pensaient pouvoir échapper à leurs responsabilités en se réfugiant en Europe. Où qu’ils se cachent, la justice finira par les rattraper.
Patrick Kroker, avocat au Centre européen pour les droits constitutionnels et humains (ECCHR).
Si elle ne suffira pas à elle seule à solder les comptes d’un conflit qui a plongé la Syrie dans l’abîme, cette décision marque une étape importante dans la lutte contre l’impunité. Elle prouve qu’en l’absence d’une justice syrienne indépendante et malgré les obstacles politiques et diplomatiques, des magistrats européens sont déterminés à ce que les principaux responsables de la tragédie syrienne rendent des comptes. Un travail de fourmi qui pourrait un jour ouvrir la voie à une paix juste et durable dans ce pays martyrisé.