Imaginez un monde où vos parts de fonds monétaires voyagent aussi vite que vos e-mails, où chaque transaction est gravée dans le marbre numérique d’une blockchain publique, et où vous pouvez régler vos souscriptions en stablecoins plutôt qu’en virement bancaire classique. Ce monde n’est plus une utopie : il vient de naître officiellement en Europe.
Amundi franchit le pas décisif de la tokenisation
Le 1er décembre 2025, Amundi, premier gestionnaire d’actifs européen avec plus de 2 000 milliards d’euros sous gestion, a annoncé le lancement de la toute première classe d’actions tokenisée d’un fonds monétaire sur le réseau Ethereum. Baptisée Amundi Funds Cash EUR – J28 EUR DLT, cette nouvelle classe d’actions marque un tournant majeur dans l’adoption institutionnelle de la blockchain.
Concrètement, chaque part détenue par un investisseur est désormais représentée par un token enregistré sur Ethereum. L’investisseur conserve le choix : il peut continuer à passer par les canaux traditionnels ou opter pour cette version blockchain qui promet transparence absolue et exécution quasi instantanée.
Qu’est-ce qui change vraiment pour l’investisseur ?
La différence n’est pas seulement technique, elle est profonde. Quand vous achetez ou vendez des parts classiques, l’ordre passe par une cascade d’intermédiaires : distributeur, agent de transfert, dépositaire, chambre de compensation… Chaque étape ajoute du délai et des frais. Avec la classe J28 EUR DLT, tout est simplifié.
Le partenaire technologique choisi par Amundi, CACEIS (filiale de Crédit Agricole et Santander), fournit le wallet institutionnel et la plateforme d’ordres blockchain. Résultat : les ordres peuvent être passés 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et l’exécution devient quasi instantanée dès que le règlement est reçu.
Mieux encore : le règlement lui-même peut s’effectuer en stablecoins (USDC, EURC ou tout autre stablecoin réglementé) ou, à l’avenir, en monnaie digitale de banque centrale (CBDC). On parle donc d’un pont direct entre finance traditionnelle et finance décentralisée.
Pourquoi Ethereum et pas une blockchain privée ?
C’est la question que tout le monde se pose. Beaucoup d’établissements financiers préfèrent les blockchains privées ou permissionnées (Hyperledger, Corda, Polygon nightly builds institutionnelles…). Amundi a pourtant fait le choix courageux d’Ethereum public.
Les raisons sont multiples. D’abord, la robustesse : Ethereum reste la blockchain la plus décentralisée et la plus sécurisée après Bitcoin. Ensuite, l’effet réseau : des milliers de wallets, d’applications DeFi et d’infrastructures institutionnelles (Fireblocks, Copper, etc.) sont déjà compatibles. Enfin, la transparence : chaque mouvement est visible publiquement, ce qui renforce la confiance dans un secteur où la traçabilité est devenue un argument commercial majeur.
Pour éviter les problèmes de volatilité du gaz, Amundi et CACEIS utilisent des solutions de layer 2 ou des mécanismes de batching. L’expérience utilisateur reste fluide, même pour des investisseurs qui n’ont jamais touché à MetaMask de leur vie.
Un fonds monétaire, vraiment le meilleur candidat ?
À première vue, tokeniser un fonds monétaire peut sembler anodin. Après tout, ces fonds investissent dans des titres de dette à très court terme, avec une valeur liquidative stable (souvent fixée à 1 €). Mais c’est précisément ce qui en fait le candidat idéal.
Un fonds monétaire est le produit le plus échangé dans la trésorerie d’entreprise et des institutionnels. Des milliards d’euros y transitent chaque jour. Réduire ne serait-ce que de quelques heures le délai de règlement représente des économies colossales en coût d’opportunité.
De plus, la stabilité de la valeur liquidative élimine le risque de volatilité que l’on retrouverait avec un fonds actions ou obligations long-terme. C’est donc le terrain parfait pour tester la technologie sans effrayer les comités de risque.
La réaction du marché et des concurrents
Dès l’annonce, les réactions ont fusé. BlackRock, qui avait déjà tokenisé un fonds monétaire aux États-Unis sur Ethereum via son partenariat BUIDL avec Securitize, a salué « une étape logique pour l’Europe ». Chez JPMorgan, on murmure que le projet Onyx pourrait bientôt proposer quelque chose de similaire en zone euro.
En France, la réaction est plus contrastée. Certains acteurs traditionnels craignent que cette innovation ne cannibalise leurs marges sur les frais de distribution. D’autres y voient l’opportunité de moderniser enfin une infrastructure qui date parfois des années 80.
Du côté des investisseurs institutionnels, l’intérêt est réel. Plusieurs trésoriers d’entreprises du CAC 40 auraient déjà manifesté leur curiosité, attirés par la perspective de régler leurs excédents de trésorerie en stablecoins tout en restant dans un cadre réglementé UCITS.
Et la réglementation dans tout ça ?
La grande force du projet Amundi, c’est qu’il reste 100 % conforme à la réglementation européenne. Le fonds reste un OPCVM classique, soumis à la directive UCITS. La tokenisation n’est qu’une modalité supplémentaire d’accès et de tenue de registre.
La CSSF (autorité luxembourgeoise) a donné son feu vert après des mois d’échanges. L’AMF française suit le dossier de très près et pourrait publier prochainement un position paper sur la tokenisation des fonds. Le régime pilote DLT de l’Union européenne, entré en vigueur en 2023, a également facilité les choses.
En résumé : aucun contournement, aucune zone grise. Tout est encadré, audité, et assuré comme un produit financier classique. C’est précisément ce qui rend cette initiative si puissante : elle prouve que blockchain et conformité ne sont plus antinomimiques.
Ce que cela préfigure pour les années à venir
Le lancement d’Amundi n’est qu’un début. D’autres classes d’actions, sur d’autres fonds (obligataires, actions, alternatifs) devraient suivre rapidement. On parle déjà d’un projet similaire chez Carmignac, et d’expérimentations chez Natixis Investment Managers.
À plus long terme, la tokenisation pourrait bouleverser toute la chaîne de valeur de la gestion d’actifs :
- Réduction massive des coûts d’intermédiation
- Fractionnement des parts à l’extrême (investissement à partir de 1 €)
- Composition automatique de portefeuilles on-chain
- Intégration directe avec les protocoles DeFi pour du yield supplémentaire
- Passage progressif vers des modèles de gouvernance on-chain
Et quand les CBDC euro arriveront (probablement d’ici 2028-2030), le cercle sera bouclé : un investisseur pourra souscrire à un fonds en euros numériques, voir ses parts tokenisées sur Ethereum, toucher ses intérêts en temps réel, et tout cela sans jamais quitter l’écosystème blockchain.
Conclusion : la finance traditionnelle vient de basculer
En lançant cette première classe d’actions tokenisée, Amundi ne fait pas qu’ajouter une option technique. Le gestionnaire envoie un message clair au marché : la blockchain n’est plus un gadget pour startups crypto, c’est devenu un standard industriel que même les géants de la finance traditionnelle adoptent.
Pour l’investisseur particulier ou institutionnel, cela signifie plus de fluidité, plus de transparence, et bientôt probablement des coûts plus bas. Pour l’ensemble du secteur, c’est le début d’une recomposition profonde qui pourrait voir, d’ici cinq ans, une part significative des encours européens migrer vers des infrastructures blockchain.
Le train est en marche. Et cette fois, ce ne sont pas les fintechs qui le conduisent : c’est l’un des plus gros acteurs traditionnels d’Europe qui vient de prendre le volant.
En résumé : Amundi vient d’ouvrir la voie à une finance hybride où le meilleur des deux mondes – sécurité réglementaire et efficacité blockchain – coexistent enfin. Le futur de la gestion d’actifs ne se fera plus sans tokenisation.









