Imaginez huit jeunes Pakistanais, hommes et femmes, qui débarquent dans une villa baignée de soleil à Istanbul pour vivre une aventure romantique sous l’œil des caméras. Flirt, confidences, défis sentimentaux… Tout semble léger, presque innocent. Pourtant, à des milliers de kilomètres, ce simple divertissement déclenche une tempête nationale. Bienvenue dans l’histoire incroyable de Lazawal Ishq, ou comment une émission de rencontres a mis le feu aux poudres au Pakistan.
Quand l’amour devient un sujet explosif
Dans un pays où les relations amoureuses hors mariage restent interdites par la loi, montrer des célibataires qui se rapprochent physiquement représente déjà un acte audacieux. Ajoutez à cela des tenues jugées trop occidentales, des regards complices et des discussions intimes, et vous obtenez la recette parfaite pour un scandale culturel.
Après cinquante épisodes diffusés, YouTube a purement et simplement suspendu l’accès à Lazawal Ishq sur tout le territoire pakistanais. Les vidéos demeurent visibles ailleurs dans le monde, mais les spectateurs locaux doivent désormais passer par un VPN pour contourner le blocage. Un mur numérique érigé en quelques clics.
Un format qui n’a pas inventé l’eau chaude… mais qui dérange
Le concept reste classique : des inconnus isolés dans un cadre paradisiaque, animés par la recherche de l’âme sœur. On pense immédiatement à Love Island, la référence britannique qui cartonne depuis des années. La différence ? Ici, les participants viennent tous du Pakistan, un pays où 97 % de la population est musulmane et où les normes sociales demeurent extrêmement strictes.
La bande-annonce avait pourtant explosé les compteurs : plus de deux millions de vues en quelques jours. Un succès qui a rapidement attiré l’attention… et les foudres.
« C’était amusant à regarder. Une émission qui montrait qu’au Pakistan, les gens peuvent avoir et ont des relations amoureuses, même si c’est mal vu »
Amna, jeune spectatrice sous pseudonyme
Ayesha Omar, la cible numéro un des critiques
L’animatrice, l’actrice connue Ayesha Omar, arrive dans la villa vêtue d’une robe blanche élégante. Un choix vestimentaire qui déclenche immédiatement une vague d’indignation sur les réseaux. On l’accuse de promouvoir un « contenu obscène et immoral », de renier les valeurs pakistanaises, d’importer une décadence occidentale.
Elle répond calmement sur Instagram : ce n’est pas une production pakistanaise, mais turque. Les participants restent libres de regarder ou non. Une justification qui ne calme personne. Dans un pays où les célébrités féminines marchent souvent sur des œufs, dépasser la ligne invisible peut coûter cher en termes d’image.
La machine administrative s’emballe
Dès les premiers jours, une plainte est déposée auprès de la PEMRA, l’autorité de régulation des médias électroniques. Motif : l’émission « va à l’encontre des valeurs religieuses et sociales » en montrant des hommes et femmes non mariés cohabitant. Des dizaines d’autres plaintes suivent.
Problème : la PEMRA n’a pas autorité sur les plateformes numériques. Elle renvoie donc vers l’Autorité des télécommunications (PTA), qui supervise Internet. Silence radio de cette dernière. Pendant ce temps, YouTube agit de son côté et applique le blocage géographique.
Chronologie express du scandale
- Lancement de la bande-annonce → 2 millions de vues
- Diffusion des premiers épisodes → buzz massif chez les jeunes
- Première plainte déposée → effet boule de neige
- YouTube bloque l’accès au Pakistan → conseils VPN de la production
Le fossé générationnel mis à nu
Ce qui frappe dans cette affaire, c’est le gouffre béant entre deux Pakistan. D’un côté, une jeunesse ultra-connectée, habituée aux séries Netflix, aux influenceurs et aux codes occidentaux du divertissement. De l’autre, les gardiens autoproclamés de la morale traditionnelle, prêts à tout pour préserver ce qu’ils estiment être l’identité nationale.
Pour beaucoup de jeunes, Lazawal Ishq représentait une bouffée d’air frais. Une preuve que l’on peut être pakistanais, musulman, et quand même rêver d’amour librement exprimé. Une forme de soft power culturel en douceur.
Pour les conservateurs, c’était une attaque frontale contre les fondements mêmes de la société : le mariage arrangé, la séparation des genres, la modestie vestimentaire. Voir des femmes en robe courte discuter sentiments avec des hommes inconnus ? Impensable.
Ce n’est pas la première fois
L’année précédente, la série Barzakh, qui abordait avec finesse des questions d’amour et de spiritualité tout en incluant des personnages LGBTQ+, avait subi le même sort. Retirée de YouTube sous la pression, malgré un accueil critique positif à l’international.
On voit se dessiner un schéma récurrent : dès qu’un contenu culturel pakistanais ose aborder la sexualité, l’homosexualité ou simplement la liberté amoureuse, il se heurte à un mur. Les plateformes, prises entre les exigences locales et leur politique globale, finissent souvent par céder.
Le paradoxe du VPN et de la liberté numérique
Ironie du sort : la production elle-même conseille ouvertement l’usage d’un VPN pour continuer à regarder. Un aveu d’impuissance, mais aussi une forme de résistance discrète. Des milliers de Pakistanais suivent déjà le conseil, transformant la censure en simple désagrément technique.
Ce petit outil devient le symbole d’une génération qui refuse de se laisser dicter ses goûts culturels. Derrière les murs numériques, la villa d’Istanbul continue de vivre, les cœurs battent, les alliances se forment. La censure n’aura réussi qu’à rendre l’émission encore plus attractive.
Vers une télévision pakistanaise plus libre ?
Cette affaire pose une question plus large : jusqu’où le Pakistan peut-il maintenir ses barrières morales à l’ère du streaming mondial ? Les jeunes représentent plus de 60 % de la population. Ils ont grandi avec Internet, les réseaux sociaux, les séries coréennes ou turques qui montrent l’amour sans filtre.
Refuser cette évolution risque de créer une fracture irrémédiable. Accepter le changement, même progressif, pourrait ouvrir la voie à une création artistique plus diverse, plus représentative de toutes les sensibilités du pays.
En attendant, Lazawal Ishq continue sa route hors des frontières pakistanaises. Cinquante épisodes déjà tournés, cinquante autres en préparation. L’amour, même éternel, semble avoir du mal à trouver sa place au pays des Purs.
Mais une chose est sûre : cette émission, par le simple fait d’avoir existé, a déjà gagné une bataille. Celle d’avoir fait parler, débattre, rêver des milliers de jeunes qui, peut-être, un jour, revendiqueront le droit d’aimer comme bon leur semble.









