Quand les grands groupes traînent des pieds pour régler leurs fournisseurs, l’addition peut vite devenir salée. C’est le signal fort qu’a voulu envoyer la Répression des fraudes (DGCCRF) en infligeant près de 30 millions d’euros d’amendes à une kyrielle d’entreprises, dont certains géants comme Renault, Ikea ou encore ArcelorMittal. En cause : des retards de paiement à répétition, qui plombent la trésorerie de leurs prestataires et pénalisent leur compétitivité.
138 procédures engagées en 5 mois
Pas moins de 138 procédures de sanctions ont été lancées par la DGCCRF entre janvier et fin mai 2023, ciblant des entreprises épinglées pour des délais de règlement excessifs. Au total, les amendes atteignent 14 millions d’euros, auxquelles s’ajoutent près de 15,6 millions d’euros de “pré-amendes”, basées sur des contrôles encore en cours.
Parmi les mauvais élèves, on retrouve des poids lourds de différents secteurs. Le constructeur automobile Renault écope ainsi de 2 millions d’euros d’amende, le géant suédois de l’ameublement Ikea de 1,86 million, le sidérurgiste ArcelorMittal de 1,5 million. Figurent aussi Euro Disney (1,3 million) ou encore la banque HSBC Continental Europe (1,27 million).
Un préjudice pour les fournisseurs
Comme le souligne la Répression des fraudes, ces retards de paiement portent un coup dur aux entreprises prestataires. Ils “fragilisent leur trésorerie” et nuisent à leur “compétitivité” comme à leur “rentabilité”. Des délais qui s’allongent d’ailleurs, avec 12,6 jours de retard en moyenne fin 2023, contre 11,7 jours un an plus tôt.
Un retard de paiement sur une grosse facture peut mettre en péril une entreprise.
Olivia Grégoire, ministre déléguée aux PME
Les grandes entreprises mauvaises payeuses
Si la tendance est à la baisse des délais de règlement entre entreprises en 2022, toutes tailles confondues, les retards restent monnaie courante. Et ce sont les grandes entreprises qui font surtout figure de mauvais payeurs. Malgré des “capacités financières conséquentes”, 55% d’entre elles règlent leurs fournisseurs hors délais, pointe l’Observatoire des délais de paiement.
Un constat qui fait bondir Olivia Grégoire, ministre déléguée aux PME. Déplorant qu’un “retard de paiement sur une grosse facture puisse mettre en péril une entreprise”, elle veut muscler les sanctions. Avec à la clé 15 milliards d’euros de trésorerie qui échappent aux fournisseurs, l’enjeu est de taille pour le tissu économique.
Des sanctions insuffisantes ?
Reste à savoir si ces amendes record infligées aux mastodontes de l’économie feront office d’électrochoc. Certes, le signal est fort, dans un contexte où les entreprises, déjà fragilisées par la crise, voient leurs coûts s’envoler avec l’inflation. Mais les pénalités restent modestes rapportées au chiffre d’affaires des multinationales épinglées.
Pour beaucoup de PME et TPE, sous perfusion de leurs donneurs d’ordre, le mal est fait. Nombre d’entre elles voient leur développement entravé, quand elles ne déposent pas purement et simplement le bilan, asphyxiées par des impayés. Un phénomène qui pèse sur l’emploi et l’investissement, et fausse la concurrence, les bons payeurs se retrouvant pénalisés.
Responsabiliser les acheteurs
Au-delà de la répression, c’est un changement de culture qu’il faut impulser, en sensibilisant les acheteurs des grands groupes. Certains réclament des bonus-malus sur leurs rémunérations, indexés sur le respect des délais. D’autres évoquent un name and shame des mauvais payeurs, ou un allongement des délais de péremption des contrôles.
Une chose est sûre : il y a urgence à assainir les relations interentreprises. C’est une question de justice économique, mais aussi de compétitivité. Car en fragilisant leurs sous-traitants, les donneurs d’ordre se tirent une balle dans le pied, et tout le tissu productif trinque. Un cercle vicieux qu’il est grand temps de briser, à coups de carotte, mais aussi de bâton.