Une récente décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) vient bousculer les règles d’attribution des prestations familiales en France. Dans un arrêt rendu le 19 décembre, la haute juridiction européenne a en effet condamné l’Hexagone pour avoir refusé le versement d’allocations à une famille d’origine arménienne au motif que celle-ci était entrée clandestinement sur le territoire. Un jugement qui soulève de nombreuses questions sur les droits sociaux des ressortissants étrangers et la politique migratoire française.
La CJUE invalide la condition d’entrée régulière pour les aides familiales
Tout commence en 2014 quand un père de famille arménien demande à percevoir des allocations familiales pour ses trois enfants, dont deux étaient arrivés illégalement avec lui en France en 2008. La Caisse d’Allocations Familiales (CAF) des Hauts-de-Seine rejette alors sa demande, arguant qu’il n’avait pu prouver l’entrée régulière de chacun de ses enfants sur le sol français, une condition sine qua non selon la loi.
Après plusieurs recours, l’affaire est remontée jusqu’à la CJUE. Et dans son arrêt, celle-ci se range du côté du père de famille, jugeant « contraire au droit de l’Union » le fait de « subordonner le droit aux prestations familiales des ressortissants de pays tiers résidant régulièrement en France à une condition supplémentaire, consistant à devoir justifier de l’entrée régulière sur le territoire français » de leurs enfants.
Égalité de traitement entre travailleurs étrangers et nationaux
Pour la Cour, une telle exigence reviendrait à « réserver aux ressortissants de pays tiers un traitement moins favorable que celui dont bénéficient les ressortissants de l’État membre d’accueil ». Or, le droit européen prévoit une égalité de traitement entre les travailleurs étrangers résidant légalement dans un pays de l’UE et les citoyens de ce même pays en matière de prestations sociales.
Peu importe donc que la famille soit entrée clandestinement en France, dès lors que sa situation a été régularisée par la suite et qu’elle réside désormais légalement sur le territoire. Elle doit pouvoir bénéficier des mêmes droits sociaux que n’importe quelle autre famille française.
Un coup porté à la politique migratoire française ?
Cette décision de la CJUE ne manque pas de faire réagir en France. Pour certains, elle constituerait une ingérence dans la souveraineté nationale en matière d’immigration et de contrôle des flux migratoires.
C’est un nouvel exemple du coup d’État de droit des cours suprêmes. Il faut en finir avec cette impuissance pour reprendre la main sur notre politique migratoire.
Laurent Wauquiez, président des Républicains
D’autres y voient au contraire une simple application du droit européen, qui prime sur les législations nationales. Le critère d’entrée régulière sur le territoire pour l’accès aux prestations familiales ne serait ainsi pas conforme aux engagements européens de la France en matière d’égalité de traitement des travailleurs étrangers.
Quelles conséquences pour les droits sociaux des étrangers ?
Au-delà des débats sur la souveraineté, cet arrêt pose surtout la question des droits sociaux des ressortissants de pays tiers en situation régulière. Jusqu’à présent, la France posait des conditions supplémentaires, comme la preuve d’une entrée légale, pour leur ouvrir l’accès à certaines prestations sociales. Des exigences qui apparaissent désormais illégales au regard du droit de l’UE.
Cette décision pourrait donc conduire à un alignement des droits sociaux entre Français et étrangers en situation régulière, notamment en matière d’allocations familiales. Avec à la clef un meilleur accès aux aides sociales pour de nombreuses familles issues de l’immigration.
Reste à savoir comment le gouvernement français va réagir et adapter sa législation suite à cette condamnation. Une chose est sûre, le sujet des droits sociaux des étrangers et de l’articulation entre droit national et droit européen en matière d’immigration n’a pas fini de faire débat.