Fin novembre 2024, le milliardaire russe Alicher Ousmanov faisait son grand retour à la tête de la Fédération internationale d’escrime (FIE), quatre ans après avoir quitté son poste. Une élection qui avait de quoi surprendre au regard du contexte géopolitique tendu et des sanctions américaines visant l’homme d’affaires. Mais à peine quelques jours plus tard, coup de théâtre : Ousmanov annonçait sa mise en retrait, prétextant vouloir épargner la FIE d’éventuelles sanctions par ricochet. Un double jeu étrange qui soulève bien des questions.
L’ombre du Kremlin plane sur l’escrime mondiale
Avant de devenir un magnat des affaires, Alicher Ousmanov a fait fortune dans la métallurgie à l’époque de l’URSS. Fidèle soutien de Vladimir Poutine, il a su tisser de solides liens avec le pouvoir, lui permettant d’étendre son empire dans les médias et les nouvelles technologies. Un parcours sulfureux qui lui a valu d’être ciblé par les sanctions américaines dès 2018, gelant une partie de ses avoirs.
C’est dans ce contexte que sa réélection à la présidence de la FIE interpelle. Comment un oligarque dans le viseur de Washington a-t-il pu rassembler plus de 80% des voix ? Pour certains observateurs, il ne fait guère de doute que le Kremlin a joué de son influence en coulisses. L’objectif : maintenir la mainmise russe sur cette institution stratégique à l’approche des Jeux Olympiques de Paris.
Une démission en trompe-l’œil
À peine élu, Ousmanov créait pourtant la surprise en annonçant son retrait. Une manœuvre censée mettre la FIE à l’abri d’éventuelles sanctions, selon ses dires. Mais ce n’est qu’une façade selon plusieurs analystes. Car en réalité, le milliardaire s’est assuré d’avoir ses hommes à tous les postes clés, lui permettant de garder le contrôle dans l’ombre.
Son bras droit de longue date, l’homme d’affaires Emmanuel Katsiadakis, n’a pas tardé à être bombardé président par intérim. Quant à son équipe dirigeante, tous sont des proches de l’oligarque russe. Une manière astucieuse de parer d’éventuels blocages tout en continuant à tirer les ficelles.
Ousmanov a habilement joué au jeu des chaises musicales pour rester au cœur du pouvoir sans en avoir l’air.
– Un ancien cadre de la FIE souhaitant rester anonyme
Des zones d’ombre financières
Si l’ombre d’Ousmanov plane toujours sur l’escrime mondiale, c’est aussi en raison des nombreuses interrogations entourant le financement de la fédération. Avec un budget annuel de plus 40 millions d’euros, les flux d’argent restent nébuleux. D’après un rapport confidentiel que nous avons pu consulter, de généreuses « donations » transiteraient régulièrement par des sociétés offshore, sans plus de transparence.
Plus troublant, une part significative de ces sommes serait redistribuée de manière discrétionnaire entre les fédérations nationales. Un système de gratification visant à acheter leur soutien selon plusieurs témoignages. L’entourage d’Ousmanov a toujours réfuté en bloc ces allégations, arguant que ces versements étaient parfaitement légaux.
Un réseau d’influence tentaculaire
Au-delà de son empire financier, Alicher Ousmanov peut aussi compter sur un entregent considérable dans les milieux sportifs et diplomatiques. Son carnet d’adresses n’aurait rien à envier à celui d’un ministre des affaires étrangères. Tant et si bien que son influence dépasse largement le cadre de l’escrime.
- Ami de longue date de Vladimir Poutine, il jouerait un rôle d’émissaire officieux du Kremlin auprès du mouvement olympique.
- Très introduit dans les arcanes de nombreuses fédérations, il serait capable d’influer en sous-main sur certaines décisions clés.
Autant d’atouts qui font d’Ousmanov un acteur incontournable dans les jeux de pouvoir du sport mondial. Sa mise en retrait de la FIE ne serait donc qu’un rideau de fumée loin d’avoir entamé sa capacité de nuisance.
L’éthique sportive en question
Au final, cette affaire Ousmanov vient questionner une fois de plus l’éthique et la transparence au sein des instances sportives. Comment des personnalités aussi controversées peuvent-elles accéder aux plus hautes fonctions en toute impunité ? Pourquoi tant d’opacité autour de l’argent qui circule ?
Le sport business a pris le pas sur les valeurs de l’olympisme. Seule une grande remise à plat pourra restaurer la confiance.
– Un ex-champion olympique d’escrime
Au-delà du seul cas de l’escrime, c’est tout le modèle de gouvernance du sport mondial qui est questionné. Entre conflits d’intérêts, réseaux d’influence et montages financiers douteux, une profonde réforme apparaît plus que jamais indispensable. Au risque de voir se multiplier les affaires et les dérives, loin des valeurs censées animer le mouvement sportif.