Imaginez un hémicycle où tous les députés se lèvent pour applaudir, écharpes aux couleurs du drapeau national autour du cou, tandis que des cris de joie et des youyous résonnent. Ce n’est pas une célébration ordinaire, mais l’adoption d’une loi qui marque un tournant dans l’histoire des relations entre deux nations. Mercredi, l’Algérie a franchi un pas décisif en criminalisant officiellement la colonisation française.
Une Loi Historique Adoptée à l’Unanimité
Le Parlement algérien a voté sans aucune opposition une législation qui reconnaît l’État français comme responsable des actes commis pendant la période coloniale, de 1830 à 1962. Ce texte ne se contente pas de dénoncer le passé : il le criminalise formellement et pose des exigences claires envers la France.
Les députés ont manifesté leur enthousiasme de manière spectaculaire. Debout, ils ont scandé « Vive l’Algérie ! » sous les acclamations traditionnelles. Le président de l’Assemblée a souligné cette unanimité comme un symbole fort de cohésion nationale face à l’histoire.
Cette loi liste précisément les crimes jugés imprescriptibles. Elle évoque les exécutions extrajudiciaires, la torture systématique, le pillage des richesses, mais aussi les essais nucléaires menés dans le désert algérien. Chaque point rappelle les souffrances endurées pendant plus d’un siècle.
Les Crimes Dénoncés dans le Texte
Le législateur algérien n’a pas hésité à nommer les actes les plus graves. Parmi eux figurent les pratiques de torture physique et psychologique appliquées à grande échelle pendant la guerre d’indépendance. Ces méthodes ont marqué des générations entières.
Les essais nucléaires constituent un chapitre particulièrement douloureux. Entre 1960 et 1966, dix-sept explosions ont été réalisées dans le Sahara. La loi exige désormais que la France procède à la décontamination des sites contaminés, considérant cela comme une obligation morale et juridique.
Le pillage systématique des ressources naturelles et culturelles est également pointé du doigt. Pendant 132 ans, l’économie algérienne a été restructurée au profit de la métropole, provoquant des déséquilibres durables.
« Une indemnisation complète et équitable pour tous les dommages matériels et moraux engendrés par la colonisation française est un droit inaliénable pour l’État et le peuple algériens. »
Cette formulation forte inscrit les réparations dans le droit national algérien. Elle transforme une revendication historique en principe légal intangible.
La Réaction Immédiate de Paris
La réponse française n’a pas tardé. Le ministère des Affaires étrangères a qualifié cette initiative de « manifestement hostile ». Selon lui, elle va à l’encontre des efforts récents pour relancer le dialogue bilatéral.
Paris regrette que ce vote intervienne alors que des discussions étaient envisagées sur les questions mémorielles. Pourtant, malgré cette critique, la France affirme vouloir maintenir les échanges sur d’autres sujets cruciaux, comme la sécurité régionale et les flux migratoires.
Cette position reflète la complexité des relations actuelles. D’un côté, une volonté affichée de coopération pragmatique ; de l’autre, une irritation face à ce que Paris perçoit comme une provocation unilatérale.
Un Contexte Diplomatique Déjà Très Tendu
Ce vote ne surgit pas dans un vacuum. Les relations entre Alger et Paris traversent depuis plusieurs mois une crise profonde. L’élément déclencheur récent fut la position française sur le Sahara occidental.
À l’été 2024, la France a reconnu un plan d’autonomie sous souveraineté marocaine pour cette région disputée. L’Algérie, soutien historique du Front Polisario, a vu cela comme une trahison de ses intérêts stratégiques.
Depuis, les incidents se sont multipliés. La condamnation puis la grâce d’un écrivain franco-algérien, obtenue grâce à une médiation étrangère, a ajouté de l’huile sur le feu. Chaque épisode ravive les vieilles blessures.
La question coloniale reste le nœud gordien de ces relations. Elle empoisonne régulièrement les échanges, empêchant une normalisation complète malgré les intérêts économiques et sécuritaires communs.
Portée Juridique et Symbolique de la Loi
Sur le plan strictement juridique, cette loi a des limites évidentes. Elle n’engage que le droit interne algérien et ne peut contraindre un État étranger. Aucun tribunal international ne pourrait s’en saisir directement pour obliger la France à payer des réparations.
Mais son impact symbolique est immense. Elle officialise au plus haut niveau de l’État une lecture de l’histoire qui place la colonisation dans la catégorie des crimes imprescriptibles. Cela renforce la narrative nationale algérienne.
Des experts estiment qu’il s’agit d’un moment de rupture dans la gestion mémorielle. La loi trace une ligne rouge : plus question de relativiser ou de minimiser les souffrances passées.
Le président de l’Assemblée a tenté de désamorcer les critiques en assurant que cette démarche ne visait aucun peuple et ne cherchait pas la vengeance. Il s’agirait plutôt d’une quête de justice historique.
Les Harkis et la Question de la Trahison
Un aspect particulièrement sensible concerne les anciens auxiliaires algériens de l’armée française, connus sous le nom de harkis. La loi qualifie leur collaboration de « haute trahison ».
Elle prévoit des sanctions contre toute personne qui ferait l’apologie de la colonisation ou justifierait ces actes. Cette disposition touche directement à la liberté d’expression sur des sujets historiques controversés.
En France, où vivent de nombreux descendants de harkis, cette formulation risque de provoquer de vives réactions. Elle ravive le débat sur la reconnaissance de leurs souffrances après l’indépendance.
Retour sur l’Histoire Coloniale Algérienne
La conquête débutée en 1830 fut brutale. Massacres, destructions des structures sociales et économiques traditionnelles, déportations massives : les historiens décrivent une violence fondatrice.
De nombreuses révoltes ont été écrasées au fil des décennies. La guerre d’indépendance, de 1954 à 1962, représente l’apogée de cette confrontation. Les chiffres des victimes divergent : 1,5 million de morts côté algérien, environ 500 000 selon les estimations françaises.
Cette période reste traumatisante des deux côtés de la Méditerranée. Elle explique pourquoi la mémoire coloniale continue d’influencer les relations contemporaines.
Les Positions Françaises Successives
Les déclarations présidentielles françaises ont évolué au fil des années. En campagne en 2017, le futur président avait qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » et évoqué la nécessité d’excuses.
Une fois au pouvoir, le ton a changé. Après la remise d’un rapport d’historien en 2021, l’engagement s’est limité à des « actes symboliques », sans excuses formelles.
Certaines prises de position publiques ont même provoqué l’indignation en Algérie, notamment des interrogations sur l’existence d’une nation algérienne avant 1830.
Cette oscillation entre reconnaissance partielle et refus de repentance complète alimente le sentiment algérien d’injustice mémorielle.
Vers Quelle Issue pour les Relations Bilatérales ?
La question reste ouverte. Cette loi va-t-elle définitivement geler les relations ou, au contraire, forcer un dialogue plus franc sur le passé ?
Les intérêts communs – lutte antiterroriste, migration, énergie – plaident pour un pragmatisme. Mais les passions mémorielles ont souvent le dernier mot.
L’Algérie semble déterminée à inscrire ses revendications dans le marbre légal. La France, elle, privilégie une approche progressive et non contrainte.
L’avenir dira si cette confrontation législative ouvre la voie à une réconciliation authentique ou creuse davantage le fossé entre deux nations liées par une histoire commune douloureuse.
Cette loi, bien que symbolique sur le plan international, consacre officiellement une vision de l’histoire qui place la responsabilité pleine et entière sur l’ancien colonisateur. Elle reflète une volonté de clôturer un chapitre en posant des conditions claires pour tourner la page.
Le vote unanime montre que, soixante-trois ans après l’indépendance, la colonisation reste une question vive en Algérie. Elle structure encore l’identité nationale et les relations internationales.
Du côté français, la réaction mesurée mais ferme indique une volonté de ne pas céder à ce qui est perçu comme une pression unilatérale. Le chemin vers une mémoire apaisée semble encore long.
Ce qui est certain, c’est que cette loi marque un jalon important. Elle institutionnalise une demande de reconnaissance et de réparation qui, jusqu’ici, restait dans le domaine politique et diplomatique.
Les prochaines mois diront si ce texte reste lettre morte sur le plan international ou s’il contribue à faire évoluer les consciences des deux côtés de la Méditerranée.









