Un spectre hante le Nigeria, celui de la faim. Selon un rapport publié vendredi par des agences onusiennes et des ONG, plus de 33 millions de Nigérians pourraient souffrir d’insécurité alimentaire aiguë en 2024, soit une augmentation alarmante par rapport aux 25,1 millions de personnes déjà touchées cette année. Parmi les populations les plus vulnérables, 5,4 millions d’enfants et près de 800 000 femmes enceintes ou allaitantes risquent de sombrer dans la malnutrition sévère. Une tragédie humanitaire se profile à l’horizon, fruit d’un cocktail explosif mêlant instabilité économique, dérèglement climatique et violences endémiques.
Un pays en proie à de multiples crises
Depuis plus d’une décennie, le nord-est du Nigeria est déchiré par des insurrections islamistes tandis que des bandes armées sèment la terreur dans tout le nord du pays. À cette instabilité chronique s’ajoute une aridification croissante de la région sous l’effet du changement climatique, attisant les rivalités entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades. Mais la dégradation rapide de la situation alimentaire s’explique aussi et surtout par la déliquescence de l’économie nigériane.
Le naira en chute libre
La monnaie nationale, le naira, ne cesse de se déprécier face au dollar, renchérissant le coût des importations alimentaires dont le pays est fortement dépendant. En 2022, la décision controversée du président Bola Tinubu de supprimer les subventions aux carburants a porté un coup supplémentaire au pouvoir d’achat, en faisant flamber les prix des denrées. Résultat : en juin dernier, le taux d’inflation alimentaire atteignait 40,9% sur un an et les prix de produits de base comme le riz ou les haricots avaient plus que doublé.
Le prix des haricots a flambé de 282% entre octobre 2023 et octobre 2024, et celui du riz cultivé localement de 153%.
Bureau national des statistiques du Nigeria
Le changement climatique, l’autre ennemi
Comme si cela ne suffisait pas, des pluies diluviennes se sont abattues le mois dernier sur le centre du Nigeria, provoquant de graves inondations. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 1,6 million d’hectares de terres agricoles ont été dévastés. Les pertes combinées en production de maïs, de sorgho et de riz dans les zones sinistrées pourraient atteindre 1,1 million de tonnes, soit de quoi nourrir 13 millions de personnes pendant un an. Une catastrophe pour un pays déjà au bord de la rupture alimentaire.
Un gouvernement dépassé, une communauté internationale aux abonnés absents
Face à l’ampleur de la crise, le gouvernement du président Tinubu semble bien démuni. Sa principale réponse a été de suspendre temporairement les droits de douane sur certaines importations alimentaires, une mesure qui ne suffira pas à endiguer la flambée des prix. Quant à la communauté internationale, elle brille surtout par son inaction. Les Nations unies ont appelé les donateurs étrangers à se mobiliser aux côtés du gouvernement nigérian, mais il est à craindre que cet énième cri d’alarme ne reste lettre morte.
À l’approche de l’échéance fatidique de 2024, l’heure n’est plus aux atermoiements mais à l’action résolue. Faute de quoi, le Nigeria et avec lui tout le Sahel risquent de sombrer dans un cycle infernal de famine, d’exode et de violences. Une menace existentielle pour la stabilité d’une région déjà à vif et dont les ondes de choc se feraient sentir bien au-delà des frontières africaines.
Les mois à venir seront décisifs : soit la communauté internationale se ressaisit et contribue à endiguer la spirale infernale de l’insécurité alimentaire, soit elle se résigne à assister, impuissante, au naufrage annoncé d’un géant africain déjà à genoux. Entre ces deux issues, il n’y a pas de troisième voie. L’avenir du Nigeria et celui de toute l’Afrique de l’Ouest se jouent maintenant.