Le hasard de l’actualité fait resurgir la voix d’Albert Camus, plaidant depuis sa tombe pour la vie et la liberté en Algérie. Au moment où l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est poursuivi dans son pays pour « atteinte à la sûreté de l’État », des lettres inédites du prix Nobel de littérature sont publiées, révélant ses appels à la clémence envers des indépendantistes algériens condamnés à mort par la France dans les années 50. Une résonance troublante entre deux destins d’hommes de lettres, fils de la même terre, écartelés entre deux patries.
Des plaidoyers posthumes contre la peine capitale
C’est dans un recueil de textes politiques intitulé « Actuelles IV », publié ce jeudi par les éditions Gallimard, qu’ont été exhumées ces lettres poignantes. Établi notamment par Catherine Camus, la fille de l’écrivain, l’ouvrage rassemble les écrits sur lesquels travaillait Albert Camus juste avant sa mort accidentelle en janvier 1960. Parmi eux, des courriers adressés aux plus hautes autorités françaises implorant la grâce pour des militants du FLN (Front de Libération Nationale), le mouvement indépendantiste algérien.
Dès 1957, l’auteur de « L’Étranger » écrit au président du Conseil Guy Mollet pour plaider des « mesures de générosité » afin de freiner les condamnations à mort. « Je suis, par conviction raisonnée, opposé à la peine de mort en général », affirme-t-il, tout en prenant soin de préciser : « Je suis un adversaire des thèses et des actes du FLN ». Mais pour lui, ces exécutions « compromettraient un peu plus l’espoir d’une solution » au conflit qui déchire l’Algérie.
« Impolitique et certainement cruel »
Début 1959, Camus s’adresse directement au Général de Gaulle, devenu président de la République, au sujet de « trois cas de condamnés à mort » encore susceptibles d’être graciés. Il en appelle aux « circonstances qui, à mon sens, rendraient peut-être impolitique et certainement cruel un châtiment définitif ». Des démarches qui témoignent de l’engagement sans faille de l’intellectuel contre la peine capitale, même si sa position a pu susciter des débats et des critiques.
Camus ne renonce pas à défendre la liberté en Algérie, c’est-à-dire la possibilité, très utopique, que la guerre s’arrête et que la société algérienne se réconcilie.
Vincent Duclert, historien
L’ombre de Camus sur Boualem Sansal
Plus d’un demi-siècle après la disparition d’Albert Camus, un autre écrivain algérien se retrouve dans le viseur de la justice de son pays. Boualem Sansal, 75 ans, connu pour ses prises de position critiques envers le pouvoir, a été arrêté mi-novembre à l’aéroport d’Alger et placé en détention. Il est poursuivi en vertu de l’article 87 bis du code pénal algérien qui punit les atteintes à la sûreté de l’État. Un article qui prévoit « la peine de mort », comme au temps de Camus, même si elle n’est plus appliquée depuis 1993 en Algérie.
Hasard troublant, Boualem Sansal a toujours été un fervent admirateur d’Albert Camus. « C’est un auteur que j’adore. Pour moi, il représente la littérature algérienne. », confiait-il en 2010. Les deux hommes ont aussi en commun d’avoir grandi dans le même quartier populaire d’Alger. Aujourd’hui, c’est le spectre de la peine capitale qui plane à nouveau sur un écrivain algérien, faisant écho aux combats passés de Camus. Une tragique répétition de l’histoire qui donne une résonance particulière à la publication de ces lettres inédites, comme un message d’outre-tombe pour la liberté et la vie.