Le paysage politique burundais vient de connaître un véritable séisme avec l’annonce de l’éviction d’Agathon Rwasa, chef de file historique de l’opposition, de la course aux élections législatives prévues en juin prochain. Une décision choc de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) qui soulève de nombreuses interrogations sur l’équité du processus électoral et l’avenir démocratique du pays.
La Ceni rejette en bloc les listes de l’opposition
C’est un véritable coup de tonnerre qui a retenti dans la classe politique burundaise mardi soir. La Ceni a annoncé le rejet de toutes les listes de candidats présentées par la coalition de l’opposition « Un Burundi pour tous » pour les prochaines élections législatives. En cause : la présence sur ces listes de trois députés siégeant actuellement à l’Assemblée nationale sous l’étiquette du Congrès national pour la liberté (CNL), le parti d’Agathon Rwasa, qui ne fait pas partie de ladite coalition.
Parmi les candidats recalés figurent donc Agathon Rwasa lui-même, ainsi qu’Euphrasie Mutenzinka et Anatole Karorero, deux autres figures éminentes du CNL. Un camouflet pour celui qui était arrivé deuxième à la présidentielle de 2020, derrière Evariste Ndayishimiye, dans un scrutin dont la régularité avait été contestée par l’opposition.
Une coalition pour contourner l’éviction de Rwasa du CNL
La coalition « Un Burundi pour tous », officiellement reconnue le 17 décembre dernier, avait été créée dans le but de permettre à Agathon Rwasa et à ses proches de se présenter malgré tout aux législatives, après que ce dernier ait été débarqué en mars de la présidence du CNL par des dissidents soutenus par le pouvoir en place. Une manœuvre qui n’aura donc pas suffi à contrer la mise à l’écart de celui qui incarne depuis des années la principale force d’opposition au régime du CNDD-FDD, le parti au pouvoir.
On ne veut pas que notre coalition participe aux législatives pour des fins électoralistes, on a peur de la force que nous représentons.
Kefa Nibizi, président du CODEBU, parti membre de la coalition « Un Burundi pour tous »
Un nouveau décret sur les candidatures indépendantes qui intrigue
Cette décision controversée de la Ceni intervient peu après la promulgation début décembre d’un décret présidentiel limitant drastiquement les possibilités pour d’anciens membres de partis politiques de se présenter en candidats indépendants. Désormais, il faudra avoir quitté son parti depuis au moins un an pour les simples adhérents, et deux ans pour les anciens dirigeants. Des restrictions qui semblent taillées sur mesure pour empêcher un retour par cette voie d’Agathon Rwasa et de ses lieutenants.
Interrogé sous couvert d’anonymat, un politologue burundais y voit la preuve que « le pouvoir, qui fait face à une crise socio-économique sans précédent, a tout mis en œuvre pour écarter Agathon Rwasa de la course électorale car celui-ci est considéré par une partie de la population comme une alternative crédible ». Un constat partagé par de nombreux observateurs de la vie politique burundaise.
Vers un recours devant la justice, mais peu d’espoir
Face à cette éviction qui fait polémique, l’opposition dispose maintenant de deux jours pour déposer un recours auprès de la Cour constitutionnelle. Cette dernière aura ensuite huit jours pour rendre sa décision, avant la publication par la Ceni de la liste définitive des candidats retenus le 13 janvier.
Mais peu d’observateurs croient à un retournement de situation. « La Cour constitutionnelle est notoirement acquise au pouvoir en place, il est très peu probable qu’elle invalide la décision de la Ceni », confie une source proche des milieux juridiques burundais. Une analyse guère optimiste quant aux chances de voir Agathon Rwasa et ses alliés réintégrer la course aux législatives.
L’opposition burundaise face à un avenir incertain
Si cette exclusion venait à être confirmée, elle porterait un coup très rude aux espoirs de l’opposition de peser sur les prochaines échéances électorales. Privée de son leader le plus charismatique et de plusieurs autres figures de proue, celle-ci devra redoubler d’efforts et d’imagination pour continuer à se faire entendre et à incarner une alternative crédible.
Plus largement, c’est la question de l’équité et de la sincérité du processus électoral au Burundi qui se trouve une nouvelle fois posée. Alors que le pays peine toujours à tourner la page des violences et des tensions politiques des dernières années, cette décision controversée risque d’attiser les frustrations et de saper un peu plus la confiance, déjà bien entamée, dans les institutions.
Reste à voir comment la communauté internationale, qui suit de près la situation au Burundi, réagira à ce nouveau développement. Plusieurs chancelleries occidentales avaient déjà fait part de leurs inquiétudes quant aux dérives autoritaires du régime ces derniers mois. L’éviction d’Agathon Rwasa pourrait les conduire à accentuer leur pression, au risque d’une nouvelle escalade diplomatique.
Une chose est sûre : l’avenir politique du Burundi s’annonce plus que jamais incertain. Et le chemin vers l’apaisement, la réconciliation et la consolidation démocratique semble encore long et semé d’embûches. Dans ce contexte, le sort d’Agathon Rwasa apparaît comme un baromètre révélateur des défis immenses qui attendent encore le pays.