Le pavot à opium, plante à la fois salvatrice et maudite pour l’Afghanistan. Ce dimanche, les autorités ont procédé à une vague d’arrestations sans précédent dans le nord-est du pays, région réfractaire à l’interdiction de cette culture controversée imposée par le gouvernement taliban. Selon une source proche de la police, plus d’une centaine de personnes ont été interpellées dans plusieurs villages de la province du Badakhchan, prises en flagrant délit de culture illicite.
Présentés devant le tribunal de première instance, ces cultivateurs risquent de lourdes peines alors que le régime Taliban s’efforce, depuis son retour au pouvoir en 2022, d’éradiquer cette production qui a longtemps fait la triste renommée de l’Afghanistan, premier fournisseur mondial d’opium. Une décision radicale du guide suprême Hibatullah Akhundzada qui n’est pas sans conséquences pour ce pays parmi les plus pauvres de la planète.
L’Afghan et le pavot, une histoire ancienne et complexe
Pour comprendre les enjeux de cette culture, il faut revenir sur la place prépondérante qu’occupe l’agriculture en Afghanistan. Jusqu’à 80% de la population en dépend pour sa survie, dans un contexte de pauvreté et d’instabilité chronique. Le pavot, avec ses belles fleurs donnant l’opium, la morphine et l’héroïne, s’est imposé au fil des décennies comme une culture de rente essentielle, en dépit de son caractère illicite.
Concentrée traditionnellement dans les bastions talibans du Sud, la culture du pavot s’est déplacée vers le nord-est ces derniers mois, en réaction à l’interdiction décrétée. Le Badakhchan, avec ses vallées reculées propices aux trafics, est devenu malgré lui un nouveau front dans la guerre contre l’opium. Guerre qui n’est pas sans dommages collatéraux, comme en témoignent les affrontements meurtriers en mai dernier entre forces de l’ordre et paysans refusant de voir leurs champs détruits.
Opium : la tentation est forte, les alternatives manquent
La flambée des prix de l’opium consécutive à l’interdiction rend la tentation encore plus grande pour des agriculteurs afghans pris à la gorge. Selon l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), le kilo de résine servant à produire l’opium et l’héroïne s’échangeait en novembre dernier à 730 dollars, contre seulement 100 dollars avant 2022. De quoi encourager la transgression, surtout dans les zones hors des sentiers battus.
Face à cette situation, l’ONUDC et la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) appellent la communauté internationale à aider les paysans afghans à développer des cultures et des moyens de subsistance alternatifs. Un vœu partagé par le gouvernement Taliban, conscient que la seule répression ne suffira pas à endiguer un phénomène qui plonge ses racines dans la misère du pays.
La Birmanie, nouvelle plaque tournante de l’opium
Mais les efforts de l’Afghanistan pourraient bien profiter à la concurrence. La Birmanie, en proie à de violents conflits internes, est devenue le premier producteur mondial d’opium, ravissant ce triste titre à l’Afghanistan. Une situation qui illustre l’extrême difficulté à éradiquer un fléau qui se nourrit de l’instabilité et de la pauvreté, et qui n’hésite pas à franchir les frontières.
Plus que jamais, la lutte contre la culture illicite du pavot apparaît comme un défi aux multiples facettes pour l’Afghanistan et la communauté internationale. Entre impératif sécuritaire, nécessité de développement et souci humanitaire, l’équation est complexe. Les arrestations records de ce dimanche dans le Badakhchan montrent que les autorités afghanes sont déterminées à y apporter leur réponse. Mais pour les milliers de paysans pris entre le marteau de la loi et l’enclume de la misère, les perspectives restent bien sombres. Une histoire afghane qui est loin d’avoir livré son dernier chapitre.