Il y a un peu plus de trois ans, le 15 août 2021, les Talibans reprenaient le contrôle total de l’Afghanistan, au terme de deux décennies de conflit. Leur retour au pouvoir, aussi rapide que brutal, prenait de court la communauté internationale. Aujourd’hui, malgré un isolement diplomatique et des sanctions économiques, le régime fondamentaliste islamiste semble plus solide et déterminé que jamais à imposer sa vision rigoriste de la société, au mépris des droits humains les plus élémentaires.
L’Afghanistan coupé du monde, la lente asphyxie
Depuis août 2021, l’Afghanistan vit replié sur lui-même, plongé dans une crise humanitaire et économique sans précédent. Les Talibans, qui ne sont reconnus par aucun pays, font face à des sanctions internationales paralysant le système bancaire et les échanges commerciaux. Isolé diplomatiquement, le régime a coupé les ponts avec le monde extérieur.
Cette mise au ban aggrave la situation déjà dramatique de la population. Selon les Nations Unies, plus de la moitié des 40 millions d’Afghans sont confrontés à une insécurité alimentaire aiguë. L’économie est exsangue, le chômage massif. Les maigres aides humanitaires peinent à passer, bloquées par le manque de liquidités et les sanctions.
La charia appliquée sans concession
Cet isolement semble pourtant convenir aux nouveaux maîtres de Kaboul, qui consolident leur emprise sur la société selon leur interprétation ultra-rigoriste de l’islam. Loin des promesses initiales de pragmatisme et d’ouverture, les Talibans imposent la charia dans sa version la plus sévère, bannissant musique, jeux et divertissements.
La justice applique des châtiments d’un autre âge. Fouet, lapidation et pendaison publique sont redevenus monnaie courante pour sanctionner vol, adultère ou blasphème. Les anciennes zones rebelles, comme la vallée du Panchir, subissent une répression féroce. Exécutions sommaires et disparitions forcées y sont quotidiennes, selon l’ONU.
Des femmes afghanes réduites au silence
Mais c’est envers les femmes que le régime se montre le plus implacable. Exclues de la vie publique et de la plupart des emplois, elles sont cantonnées à la sphère domestique. Interdites d’écoles et d’universités, la plupart sont privées d’éducation. Le port de la burqa est de nouveau obligatoire, sous peine de lourdes sanctions.
Plongées dans le désespoir, plus de 70% des Afghanes souffriraient aujourd’hui de dépression, selon des sources médicales locales. Certaines bravent l’interdit et s’organisent pour étudier clandestinement, notamment les langues étrangères, avec l’espoir un jour de fuir le pays. D’autres, épuisées, mettent fin à leurs jours.
En Afghanistan, les femmes sont les grandes oubliées, broyées par un régime infernal qui les considère comme des citoyennes de seconde zone, juste bonnes pour obéir et procréer. Le monde en parle de moins en moins, on s’habitue à leur calvaire.
D’après une militante afghane des droits humains réfugiée en Europe
Quels leviers pour la communauté internationale?
Face au durcissement continu du régime taliban, les capitales occidentales semblent impuissantes. Les quelques voix qui s’élèvent encore pour appeler à ne pas abandonner le peuple afghan peinent à se faire entendre. Les leviers pour peser sur la politique du pays sont minces.
- Les sanctions économiques asphyxient le pays et sa population plus que les autorités.
- L’isolement diplomatique conforte les Talibans dans leur rejet de l’influence extérieure.
- L’aide humanitaire sert de monnaie d’échange mais est vitale pour des millions d’Afghans.
Pour tenter une médiation, certains pays comme la Chine ou le Qatar maintiennent des contacts officieux avec Kaboul. Des rencontres discrètes avec des émissaires talibans ont lieu à Doha ou Islamabad, sans réels progrès. Même les puissances régionales semblent résignées à ce statu quo, malgré le risque d’instabilité.
Les Talibans ont gagné. Ils tiennent le pays d’une main de fer, contrôlent les frontières, montent en puissance militairement et économiquement grâce aux trafics. Personne ne veut d’un nouveau conflit ouvert qui ouvrirait un boulevard à l’État islamique et déstabiliserait toute l’Asie centrale.
Analyse d’un diplomate européen spécialiste de la région
La résistance intérieure étouffée dans l’oeuf
Sur le front intérieur aussi, l’horizon est sombre. La résistance au régime taliban, pourtant réelle dans certaines provinces comme Parwan ou Baghlan, semble incapable de s’organiser et se fédérer à grande échelle, faute de moyens et de soutiens extérieurs.
Les quelques mouvements rebelles qui subsistent, souvent issus de l’ancienne armée afghane ou de milices locales, multiplient les actions de guérilla, ciblant des convois ou des checkpoints talibans. Mais ils sont isolés et lourdement infiltrés par les services de renseignement du régime.
La résistance n’est pas morte, elle gronde partout, dans les villes comme dans les campagnes. On organise des réseaux, on coordonne nos actions, on recrute. Mais sans appui financier et militaire conséquent de l’étranger, difficile d’espérer rébranler les Talibans à moyen terme.
Témoigne sous couvert d’anonymat un responsable de la rébellion
Et maintenant? L’espoir d’un changement venu de l’intérieur
Trois ans après le retour des Talibans, l’Afghanistan semble durablement installé dans un tunnel obscur, à l’écart de la marche du monde. Pour de nombreux observateurs, seul un changement interne, une évolution des mentalités au sein même du mouvement islamiste radical, pourrait à terme infléchir le destin du pays.
De timides signes d’ouverture émergent de la jeune génération de talibans, notamment chez certains technocrates plus pragmatiques, conscients que l’Afghanistan ne peut survivre replié sur lui-même. Mais pour l’heure, les durs du régime, galvanisés par leur victoire contre les Américains et sûrs de leur bon droit, tiennent les rênes et ne semblent rien prêts à céder. Et la communauté internationale peine à formuler une politique cohérente pour accompagner une transition en douceur, préférant détourner le regard pour tenter d’oublier son cuisant échec.