L’affaire Truong My Lan, la patronne d’un empire immobilier vietnamien condamnée à mort en première instance pour une escroquerie de 25 milliards d’euros, connaît un nouveau rebondissement. Ce lundi, la Cour d’appel de Ho Chi Minh-Ville entame l’examen du recours déposé par la femme d’affaires de 68 ans, qui réclame un verdict moins sévère.
Truong My Lan, à la tête du conglomérat Van Thinh Phat, avait été reconnue coupable en avril d’avoir orchestré pendant dix ans un vaste système frauduleux impliquant des obligations douteuses transitant par la Saigon Commercial Bank (SCB), avec la complicité de responsables chargés de superviser le secteur bancaire. Un montage qui a lésé des dizaines de milliers de clients de la SCB, dont Van Thinh Phat détient plus de 90% des parts.
Un procès hors norme sous haute tension
Ce procès en appel, qui doit durer 3 semaines, s’annonce d’ores et déjà exceptionnel. Pas moins de 100 avocats y participeront pour défendre Mme Lan et les 47 autres accusés ayant également fait appel, selon les médias d’État. L’ampleur de l’affaire et les sommes en jeu suscitent une vive émotion au sein de la population vietnamienne.
En effet, certaines des victimes de cette fraude massive n’ont pas hésité à manifester publiquement leur colère, un fait rare sous le régime communiste. Ainsi, Le Hang, une octogénaire qui a perdu plus d’un demi-million de dollars dans cette escroquerie, a confié à l’AFP qu’elle souhaitait néanmoins que Truong My Lan vive “pour réparer ce qu’elle a fait et rembourser les gens”.
Une peine “trop sévère et trop dure” selon l’accusée
Pour sa part, Truong My Lan estime dans sa requête que sa peine capitale est “trop sévère et trop dure”. Elle demande à la cour “une approche plus indulgente et humaine”, expliquant se sentir encore “tourmentée” et se demander pourquoi sa famille et elle se retrouvent dans cette situation.
Chaque nuit, je me sens encore tourmentée et je me demande pourquoi ma famille et moi sommes dans cette situation
Truong My Lan dans sa requête
Outre la peine de mort, Mme Lan a également été condamnée à perpétuité en octobre dans une autre affaire de blanchiment d’argent, de fraude et de transferts illégaux de fonds à l’étranger. Des sanctions d’une sévérité extrême qu’elle conteste donc devant la cour d’appel. Elle a aussi demandé à être dispensée des frais de justice s’élevant à 24,3 millions d’euros.
Un procès emblématique de la lutte anti-corruption au Vietnam
Les procès visant Truong My Lan s’inscrivent dans la vaste campagne anti-corruption lancée ces dernières années par le pouvoir communiste vietnamien. Une purge qui a déjà fait tomber des milliers de personnes, parmi lesquelles des figures majeures du monde des affaires et même d’anciens ministres.
En s’attaquant ainsi à la corruption endémique, y compris dans les plus hautes sphères, les autorités entendent assainir l’économie et restaurer la confiance des investisseurs et de la population. Le secteur immobilier, gangréné par les malversations, fait notamment l’objet d’une attention particulière.
Le dénouement du procès en appel de Truong My Lan, patronne déchue d’un empire du BTP, sera donc suivi de près. Il donnera une indication sur la détermination du régime à poursuivre sans faiblesse son opération mains propres, même lorsque des puissants sont dans le viseur. La sévérité du jugement initial avait surpris dans un pays où la peine capitale pour des crimes économiques reste exceptionnelle.
Un secteur immobilier sous pression
Au-delà du sort individuel de Mme Lan, ce sont les pratiques du secteur immobilier vietnamien qui se retrouvent sous les projecteurs. Les géants du BTP sont nombreux à avoir bâti des empires en profitant de connivences avec le pouvoir et d’un cadre réglementaire longtemps défaillant.
Mais le vent semble tourner, comme l’illustre le dossier Truong My Lan. Les autorités multiplient les contrôles et resserrent les boulons pour assainir un marché crucial pour l’économie nationale. Avec à la clé un risque de ralentissement de l’activité, déjà palpable à Ho Chi Minh-Ville où plusieurs grands projets sont à l’arrêt.
Une source proche des milieux d’affaires confie sous couvert d’anonymat que “beaucoup de dirigeants de groupes immobiliers sont sur les dents, car ils savent que leur tour pourrait venir”. Selon cet observateur, la purge en cours pourrait déboucher à terme sur “une refonte en profondeur des règles du jeu et un marché plus transparent”.
En attendant, les acteurs du secteur scruteront avec attention le verdict de la cour d’appel dans l’affaire Truong My Lan, qui donnera la mesure de la détermination des autorités à assainir le BTP. D’après des proches du dossier, les avocats de Mme Lan tablent sur une réduction de peine mais ont peu d’espoir d’obtenir un acquittement. Le feuilleton judiciaire qui secoue l’immobilier vietnamien est donc parti pour durer.