L’affaire Ziad Takieddine continue de secouer la sphère politico-médiatique française. Mercredi 7 juin, le site d’investigation Mediapart a publié une enquête mettant en cause le traitement par la chaîne BFMTV de la spectaculaire volte-face de cet intermédiaire, qui accusait Nicolas Sarkozy d’avoir financé sa campagne présidentielle de 2007 avec des fonds libyens. Des révélations qui ébranlent la crédibilité et l’indépendance de la première chaîne d’info française.
Marc-Olivier Fogiel monte au créneau pour défendre BFMTV
Face à la polémique, le directeur général de BFMTV Marc-Olivier Fogiel est sorti du silence ce jeudi 8 juin. Joint par l’AFP, il a fermement défendu le traitement par sa chaîne de la rétractation de Ziad Takieddine en novembre 2020, le qualifiant de “journalistiquement irréprochable”.
L’antenne a comme à chaque fois travaillé en toute indépendance et a été journalistiquement irréprochable.
Marc-Olivier Fogiel, DG de BFMTV
Il a également indiqué qu’un “échange” était prévu ce vendredi entre lui et la rédaction, alors que les représentants du personnel ont demandé des explications suite à l’article de Mediapart.
La société des journalistes de BFMTV “déçue” malgré les réponses de la direction
La société des journalistes (SDJ) de la chaîne avait fait part de sa “déception” suite aux premières réponses apportées par la direction. Dans un communiqué publié sur Twitter, elle “exige des garanties claires et nettes sur l’indépendance de la rédaction”.
De leur côté, les sections CGT et SNJ se sont dites “consternées et stupéfaites” dans un communiqué commun, dénonçant “le mépris de nombreuses règles déontologiques” et une “compromission” de Marc-Olivier Fogiel dans cette affaire qui “entache la crédibilité de toute la rédaction”.
Mediapart évoque une “manipulation médiatique” en faveur de Sarkozy
L’enquête de Mediapart, étayée par des échanges de SMS, met en lumière le rôle qu’auraient joué plusieurs figures de BFMTV, dont son directeur général Marc-Olivier Fogiel, dans la diffusion de la rétractation surprise de Ziad Takieddine en novembre 2020.
Le site accuse la chaîne d’avoir participé à une “manipulation médiatique” visant à dédouaner Nicolas Sarkozy dans cette affaire tentaculaire de financement libyen présumé de sa campagne de 2007, qui doit être jugée en 2025.
Des SMS attribués à Marc-Olivier Fogiel et à l’attachée de presse de l’ancien président montreraient que la diffusion de la vidéo où Ziad Takieddine se rétracte avait été négociée, de même qu’une interview de Nicolas Sarkozy sur BFMTV.
Fogiel réfute toute “pression”, les syndicats demandent des comptes
En réponse, Marc-Olivier Fogiel a affirmé que “les conversations privées tronquées avec des sources ne sont pas destinées à être publiques” et qu’elles permettent justement de “tenir à distance les pressions”. Mais cela n’a pas suffi à convaincre les syndicats.
La SDJ réclame “un droit de regard sur les relations entre la direction de la chaîne et le pouvoir politique ou économique”, afin de s’assurer qu’il n’y ait “aucune pression” et “aucun arrangement”. Un enjeu crucial au moment où le rachat du groupe Altice, propriétaire de BFMTV, par l’armateur Rodolphe Saadé, fait craindre une perte d’indépendance.
Carla Bruni mise en examen après la rétractation de Takieddine
L’affaire dans l’affaire, c’est que la rétractation surprise de Ziad Takieddine, tournée en vidéo avec un journaliste de Paris Match, a été suivie de la mise en examen de Carla Bruni-Sarkozy, après celle de son mari en octobre.
L’ancien chef de l’État est soupçonné d’avoir avalisé des manœuvres visant à obtenir le revirement de l’homme d’affaires franco-libanais, témoin clé du dossier, qui affirmait initialement avoir remis 5 millions d’euros à Nicolas Sarkozy en 2007 pour financer sa campagne.
Une affaire explosive pour les médias et le monde politique
Au-delà des suites judiciaires de ce feuilleton, c’est la question de l’indépendance des médias et de la porosité entre le monde politique et journalistique qui se pose avec acuité. D’autant que BFMTV n’en est pas à sa première polémique.
Dans un secteur en crise, soumis à une concurrence exacerbée et à une pression politique constante, cette nouvelle affaire vient jeter une lumière crue sur les dérives et les connivences qui peuvent exister au plus haut niveau. Et soulève une question existentielle pour le quatrième pouvoir : comment préserver sa crédibilité et son rôle de contre-pouvoir indispensable à la démocratie ?
La défense de Marc-Olivier Fogiel suffira-t-elle à éteindre l’incendie et à rassurer sur l’intégrité de sa rédaction ? Rien n’est moins sûr tant cette affaire concentre les maux qui minent la confiance dans les médias. L’exigence de transparence et de déontologie n’a jamais été aussi forte. BFMTV et l’ensemble de la profession seraient bien inspirés d’en tirer toutes les leçons pour renouer avec leur public et leur mission originelle. L’avenir de notre démocratie en dépend.