Le feuilleton judiciaire de l’affaire du financement libyen présumé de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007 connaît un nouveau rebondissement. L’ancien président français est de retour devant le tribunal correctionnel de Paris à partir de ce lundi, aux côtés de trois anciens ministres et neuf autres prévenus. Un procès hors norme et explosif qui va explorer les dessous d’un dossier tentaculaire.
Un « pacte de corruption » entre Sarkozy et Kadhafi ?
Nicolas Sarkozy est soupçonné par l’accusation d’avoir noué, via des intermédiaires, un « pacte de corruption » avec le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi. L’objectif ? Obtenir un financement occulte de plusieurs dizaines de millions d’euros pour sa campagne victorieuse de 2007, en échange notamment d’une réhabilitation sur la scène internationale du régime de Tripoli.
Des accusations que l’ex-chef de l’État a toujours fermement contestées, dénonçant une « fable » construite par ses adversaires. Son avocat Me Christophe Ingrain a affirmé que son client allait « combattre la construction artificielle imaginée par l’accusation » et qu’il « attend avec détermination ces quatre mois d’audience ». Mais la bataille s’annonce rude.
Des lourdes peines encourues
Jusqu’au 10 avril, Nicolas Sarkozy comparaît pour corruption, recel de détournement de fonds publics, financement illégal de campagne électorale et association de malfaiteurs. Des chefs d’accusation qui lui font risquer gros : 10 ans de prison, 375 000 euros d’amende et une peine d’inéligibilité pouvant aller jusqu’à 5 ans.
Un contexte judiciaire délicat pour l’ex-président qui se présente pour la première fois devant ses juges avec un casier judiciaire. Il y a trois semaines à peine, dans une autre affaire, il a été définitivement condamné à un an de prison ferme sous bracelet électronique pour corruption.
2005, les prémices de l’affaire
Pour l’accusation, tout commence fin 2005 à Tripoli. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, rencontre le colonel Kadhafi lors d’une visite officiellement consacrée à l’immigration irrégulière. Mais en coulisses, un « pacte » aurait été scellé entre les deux hommes.
Pour étayer cette thèse, les enquêteurs s’appuient sur les déclarations de sept anciens dignitaires libyens, les déplacements avant et après de proches de Sarkozy comme Claude Guéant et Brice Hortefeux, ainsi que sur les écrits troublants de l’ex-ministre libyen du pétrole retrouvé noyé dans le Danube en 2012.
Les contreparties du deal présumé
En échange de ce soutien financier, le régime de Kadhafi aurait obtenu plusieurs contreparties une fois Nicolas Sarkozy élu président :
- Une réhabilitation internationale, marquée par une visite en grande pompe de Kadhafi à Paris
- La signature de juteux contrats
- Un coup de main judiciaire à un dignitaire libyen condamné en France pour terrorisme
Des valises de cash et des virements suspects
L’argent libyen aurait transité par des circuits occultes. Selon les enquêteurs, des valises de grosses coupures auraient été remises à Claude Guéant. Des virements suspects ont aussi été identifiés sur les comptes de l’intermédiaire Ziad Takieddine, aujourd’hui en fuite.
Au QG de campagne de Sarkozy, des espèces d’origine inconnue auraient aussi circulé, pour quelques dizaines de milliers d’euros officiellement. Côté preuves matérielles directes, c’est là que le bât blesse pour l’accusation.
La ligne de défense de Sarkozy
Face à ces soupçons, Nicolas Sarkozy crie au complot. Pour lui, les accusations des Libyens ne sont qu’une « vengeance » liée à sa décision d’intervenir militairement en Libye en 2011, qui a précipité la chute et la mort de Kadhafi.
Sa défense conteste farouchement la thèse d’un financement illégal et souligne qu' »aucune trace » de l’argent libyen n’a été retrouvée dans les comptes de campagne, validés à l’époque par le Conseil constitutionnel. Elle dénonce aussi les multiples rétractations et versions contradictoires des accusateurs.
Un dossier tentaculaire et des zones d’ombre
Au cours des débats, les juges vont devoir se plonger dans un dossier foisonnant et explorer de nombreuses zones d’ombre. Parmi elles, le rôle trouble des intermédiaires gravitant autour du pouvoir libyen et de Sarkozy, comme Alexandre Djouhri, lui aussi renvoyé devant le tribunal.
Autre épisode à éclaircir : l’exfiltration rocambolesque vers Tripoli de Béchir Saleh, l’ancien directeur de cabinet de Kadhafi, entre les deux tours de la présidentielle de 2012 qui a vu la défaite de Nicolas Sarkozy. Les magistrats s’interrogent sur une intervention de l’ex-président pour le faire partir précipitamment.
Des ministres sur le banc des prévenus
Aux côtés de Nicolas Sarkozy, trois de ses anciens ministres vont aussi devoir s’expliquer sur leur rôle dans ce dossier tentaculaire. Claude Guéant, directeur de la campagne présidentielle de 2007, sera interrogé sur ses voyages à Tripoli et les remises de fonds évoquées par l’accusation.
Brice Hortefeux, autre très proche de Sarkozy, aura lui aussi à répondre de ses liens avec le régime de Kadhafi. Quant à Éric Woerth, trésorier de la campagne à l’époque, il devra justifier l’origine d’espèces qui auraient transité au QG.
Tous contestent les faits reprochés. Éric Woerth a ainsi expliqué que les sommes en liquide étaient de simples « dons anonymes » de quelques milliers d’euros, parfaitement légaux.
Une nouvelle affaire en toile de fond
Ce procès historique se déroule avec en toile de fond l’ombre d’un autre dossier judiciaire explosif. Nicolas Sarkozy est en effet aussi mis en examen dans l’enquête sur des soupçons de corruption visant à le faire innocenter dans l’affaire libyenne.
Selon les enquêteurs, l’ex-président aurait avaliser des manœuvres frauduleuses en coulisses, comme de faux témoignages, pour tenter d’enterrer les accusations le visant. Des méthodes qu’il réfute, mais qui alarment sur de possibles dérives au plus haut sommet de l’État.
Un procès sous haute tension
Avec ces deux affaires judiciaires qui s’entrechoquent, le procès qui s’ouvre ce lundi s’annonce sous très haute tension. Pendant quatre mois, la justice va explorer les recoins les plus sulfureux de la Françafrique et les liens entre pouvoir et argent.
Nicolas Sarkozy, qui dénonce un « acharnement judiciaire », joue très gros. En cas de condamnation, c’est toute son image et son héritage politique déjà écornés qui pourraient être durablement fracassés. Lui qui rêve encore d’un retour continuera à clamer son innocence, mais la bataille judiciaire et médiatique s’annonce féroce.
Ce procès fleuve promet en tout cas de nouvelles révélations sur les coulisses de l’État et les dérives du pouvoir. De quoi passionner les Français, et peut-être entacher un peu plus la confiance dans leurs dirigeants politiques. Un feuilleton judiciaire loin d’être terminé.