L’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal à Alger le 16 novembre dernier et son placement sous mandat de dépôt font l’effet d’une déflagration dans les milieux diplomatiques. Cet événement semble porter un coup fatal aux relations déjà extrêmement tendues entre la France et l’Algérie, au point que beaucoup redoutent une rupture définitive, même si elle ne dit pas son nom.
Un « millefeuille de crises » entre Paris et Alger
La détention de Boualem Sansal, connu pour ses prises de position critiques envers le régime algérien, intervient dans un contexte diplomatique déjà lourd. Depuis plusieurs mois, les incidents se multiplient entre les deux pays :
- La reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en mars dernier a provoqué l’ire d’Alger, qui soutient les indépendantistes sahraouis du Front Polisario.
- En septembre, l’Algérie a rappelé son ambassadeur à Paris après des propos d’Emmanuel Macron qualifiant le système politico-militaire algérien de « fatigué ».
- Fin octobre, trois ressortissants européens dont un Français ont été expulsés d’Algérie, accusés de soutenir le Hirak, le mouvement de contestation populaire.
Face à ce qu’un diplomate décrit comme un « millefeuille de crises », l’affaire Boualem Sansal apparaît comme la goutte d’eau qui fait déborder le vase. D’après une source proche du dossier, les autorités françaises s’inquiètent des répercussions de cette arrestation sur une relation bilatérale déjà au plus bas.
Un écrivain devenu symbole des tensions
Âgé de 73 ans, Boualem Sansal est l’auteur d’une œuvre abondante, dont plusieurs romans célèbres comme 2084 : La fin du monde ou Le Serment des barbares, dans lesquels il dénonce avec virulence l’islamisme et l’autoritarisme. Lauréat de nombreux prix littéraires, il a reçu en 2015 le Grand Prix du roman de l’Académie française.
Mais ses prises de position lui valent l’hostilité du pouvoir algérien. Interdit de conférences et de médias dans son pays, il fait l’objet d’une surveillance étroite. Son interpellation à l’aéroport d’Alger alors qu’il revenait de France, pour des motifs encore flous, est interprétée comme un énième tour de vis du régime envers ses opposants.
Cette arrestation est une attaque contre la liberté d’expression. Boualem Sansal paie son combat courageux contre l’obscurantisme et pour les valeurs de la démocratie.
Un représentant du Quai d’Orsay
Paris impuissant, Alger inflexible
Malgré les protestations diplomatiques françaises, les autorités algériennes se montrent inflexibles sur le cas Sansal. Il encourt jusqu’à la réclusion criminelle à perpétuité pour atteinte à la sûreté de l’État selon les médias locaux.
Une intransigeance qui traduit la détermination d’Alger à affirmer sa souveraineté face à l’ancienne puissance coloniale. Dans ce bras de fer, Paris semble pour l’heure impuissant à infléchir la position algérienne, son influence dans le pays n’ayant cessé de décliner ces dernières années.
Vers une rupture inéluctable ?
Si officiellement le dialogue n’est pas rompu entre les deux capitales, en coulisses chacun semble se préparer au pire. Côté français, la tentation d’une ligne dure face à un régime perçu comme de plus en plus hostile grandit, quitte à lâcher du lest sur certains dossiers de coopération.
En Algérie, le pouvoir voit dans cette crise l’occasion de tourner définitivement la page de la « Françafrique » et de s’émanciper de la tutelle de Paris. Quitte à trouver d’autres partenaires, à l’Est ou ailleurs.
Dans ce climat de défiance, l’affaire Boualem Sansal risque de précipiter la rupture, une rupture en réalité déjà consommée même si elle ne dit pas son nom. L’avenir des relations franco-algériennes n’a jamais semblé si incertain.