Alors que l’Assemblée nationale vient de rejeter massivement le projet d’accord de libre-échange entre l’Union Européenne et les pays du Mercosur, les propos de Pascal Lamy, ancien directeur général de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), viennent bousculer les idées reçues. Selon lui, cet accord tant décrié serait en réalité « correct pour l’agriculture française ». Une analyse surprenante qui mérite qu’on s’y attarde.
Un accord globalement positif pour l’Europe et la France
Invité ce mercredi sur BFM Business, Pascal Lamy n’y est pas allé par quatre chemins. Pour l’ex-patron de l’OMC, l’accord de libre-échange négocié entre Bruxelles et le bloc sud-américain (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) est « plutôt un bon accord pour les Européens » et même « un accord correct pour l’agriculture française« .
Une position à contre-courant du vote sans appel de l’Assemblée nationale mardi, où élus de la majorité et oppositions se sont ligués contre ce traité accusé de faire la part belle aux importations sud-américaines au détriment des producteurs européens et français. Mais Pascal Lamy insiste :
Les industries des vins spiritueux et du fromage ont à y gagner.
Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC
Deux filières d’excellence du terroir français qui pourraient donc tirer leur épingle du jeu d’un accord pourtant conspué dans l’hexagone. Preuve que le dossier est plus complexe qu’il n’y paraît.
Un désaccord circonscrit à la filière bovine
Si l’ancien commissaire européen au commerce se veut rassurant sur le bilan global de l’accord, il reconnaît toutefois l’existence d’un « problème » concernant spécifiquement la filière bovine. Un point noir régulièrement mis en avant par les opposants à ce traité de libre-échange.
La crainte d’une concurrence déloyale de la viande sud-américaine, produite à bas coûts et avec des standards sanitaires et environnementaux parfois questionnables, constitue en effet le principal argument des éleveurs français et européens hostiles à cet accord. Un point de crispation majeur, mais qui ne doit pas occulter les autres aspects du dossier selon Pascal Lamy.
Contrer l’influence chinoise en Amérique latine
Au-delà des intérêts purement économiques et commerciaux, l’ancien patron de l’OMC appelle également à considérer l’enjeu géopolitique de ce partenariat entre l’Europe et le Mercosur :
Il ne faut pas laisser les Chinois occuper complètement l’Amérique latine.
Pascal Lamy
Un argument de poids à l’heure où Pékin multiplie les offensives économiques et diplomatiques sur le continent sud-américain, traditionnelle zone d’influence des États-Unis et de l’Europe. En s’engageant dans un ambitieux accord de libre-échange avec les pays du Mercosur, l’UE s’assurerait donc de garder un pied dans la région face à l’expansionnisme chinois.
Des réserves sur la capacité de blocage française
Malgré l’opposition réaffirmée de Paris, Pascal Lamy semble toutefois douter de la capacité française à réunir une minorité de blocage au sein du Conseil européen pour empêcher définitivement la ratification de l’accord :
Je ne suis pas sûr que la position de la France ne cède pas.
Pascal Lamy
Il note au passage que d’autres pays comme la Pologne, officiellement opposée à l’accord, pourraient en réalité avoir d’autres motivations :
Le problème de la Pologne, ce n’est pas le Mercosur, c’est l’Ukraine.
Pascal Lamy
Autant d’éléments qui laissent penser que le sort de cet accord UE-Mercosur est loin d’être définitivement scellé, en dépit du rejet retentissant de l’Assemblée nationale. L’analyse à contre-courant de Pascal Lamy a le mérite de relancer le débat et d’appeler à ne pas enterrer trop vite ce traité qui divise.
Des enjeux commerciaux et géopolitiques complexes
Au final, ce dossier illustre toute la difficulté à concilier intérêts économiques divergents et impératifs géopolitiques dans la conduite de la politique commerciale européenne. S’il peut sembler tentant de rejeter en bloc cet accord pour protéger certaines filières sensibles, une analyse plus nuancée montre qu’il comporte aussi des opportunités à saisir, tant sur le plan économique que stratégique.
Un véritable casse-tête pour les décideurs européens, tiraillés entre la défense de secteurs vulnérables et la nécessité de ne pas se couper des grands marchés émergents. Le message de Pascal Lamy, sans nier les inquiétudes légitimes, invite à regarder au-delà et à peser le pour et le contre de manière dépassionnée. Un vœu pieux face aux passions que suscite ce dossier brûlant ? L’avenir nous le dira.