Imaginez votre assiette du dimanche. Ce rumsteck juteux, ce poulet rôti doré. Et si, demain, ces produits venaient d’Amérique latine avec des normes sanitaires bien en deçà de celles imposées à nos agriculteurs ? C’est exactement le scénario que l’Élysée veut éviter à tout prix avec l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur.
Un ultimatum français sans détour
Mercredi, après le Conseil des ministres, la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, a été on ne peut plus claire : la France attend toujours des réponses concrètes à ses trois exigences non négociables avant tout feu vert à l’accord.
Ces trois points ? Une clause de sauvegarde efficace, l’application stricte des mesures miroirs (mêmes règles pour les produits importés que pour ceux produits en Europe) et un renforcement drastique des contrôles aux frontières.
« Aucune forme de tolérance ou de complaisance » ne sera acceptée sur l’arrivée de produits non conformes à nos règles sanitaires, a martelé l’exécutif.
Pourquoi le poulet et le bœuf cristallisent les tensions
Dans le viseur : surtout la viande bovine et la volaille sud-américaines. Des filières où les écarts de normes sont abyssals.
En Europe, l’utilisation de certains antibiotiques promoteurs de croissance est interdite depuis des années. Idem pour un grand nombre d’hormones et de pesticides bannis. Au Brésil ou en Argentine, ces pratiques restent autorisées ou très peu contrôlées.
Résultat : un coût de production bien plus faible outre-Atlantique, et donc une concurrence jugée déloyale par les éleveurs français et européens.
Un calendrier sous très haute tension
La Commission européenne rêve de boucler l’accord avant le sommet du Mercosur prévu le 20 décembre au Brésil. Pour cela, il lui faut l’aval des Vingt-Sept d’ici le 19 décembre au plus tard.
Mais avant cela, deux étapes cruciales :
- Le 16 décembre : vote du Parlement européen sur les mesures de sauvegarde destinées à rassurer les agriculteurs.
- Entre le 16 et le 19 décembre : décision finale des États membres sur l’ensemble du traité.
Autant dire que les prochains jours s’annoncent électriques.
Les concessions de Bruxelles : suffisantes ou cosmétiques ?
Consciente du blocage français, la Commission a tenté mardi une série de gestes d’apaisement.
Elle a annoncé un renforcement des contrôles sur les importations agricoles et une mise à jour des règles concernant les résidus de pesticides interdits en Europe mais tolérés ailleurs.
Par ailleurs, dès septembre, Bruxelles avait mis en place un dispositif de « suivi renforcé » pour huit produits sensibles : viande bovine, volaille, sucre, éthanol, riz, miel, œufs et ail.
En cas de perturbation grave du marché européen, la Commission s’engage à déclencher automatiquement des mesures correctrices.
Mais pour Paris, ces annonces restent insuffisantes. Elles relèvent plus de l’affichage que de la garantie juridique ferme.
La clause miroir : le cœur du débat
Le principe est simple : un produit importé doit respecter exactement les mêmes normes que s’il avait été produit en Europe.
Interdiction des hormones de croissance ? Elle doit s’appliquer aussi au bœuf argentin. Interdiction du glyphosate sur certaines cultures ? Les importations concernées doivent être irréprochables.
Or, l’accord actuel ne contient pas de clause miroir juridiquement contraignante. C’est là que le bât blesse.
« Il est incompréhensible pour nos compatriotes que des aliments arrivent sur notre sol avec des règles sanitaires différentes de celles imposées à nos agriculteurs », a résumé Maud Bregeon.
Un front agricole uni contre l’accord
Derrière la position française, c’est tout un continent agricole qui gronde. Irlande, Pologne, Autriche, Belgique… de nombreux pays expriment des réserves similaires.
Les syndicats agricoles, FNSEA en tête, ont multiplié les manifestations ces dernières semaines. Leur message est limpide : pas question de sacrifier des décennies de progrès sanitaire et environnemental sur l’autel du libre-échange.
Et si la France mettait son veto ?
Théoriquement, un seul État peut bloquer l’accord. En pratique, la pression diplomatique est énorme.
Le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay attendent ce traité depuis plus de vingt ans. Ils y voient une bouffée d’oxygène économique majeure.
De son côté, l’Allemagne, l’Espagne ou les Pays-Bas poussent pour une adoption rapide, attirés par les opportunités d’exportation pour leur industrie et leurs services.
La France se retrouve donc en première ligne d’un conflit qui dépasse largement ses frontières.
Vers un compromis de dernière minute ?
Plusieurs scénarios circulent dans les couloirs bruxellois.
- Un accord a minima avec une déclaration annexe renforçant les contrôles (solution privilégiée par la Commission).
- Un report sine die du vote, le temps de renegocier certains points (option défendue par Paris).
- Un veto français pur et dur, au risque de cris d’orfraie diplomatiques.
Reste à savoir jusqu’où Emmanuel Macron est prêt à aller pour défendre la souveraineté alimentaire française.
Une chose est sûre : dans les prochains jours, chaque communiqué, chaque réunion bilatérale sera scruté à la loupe. L’avenir de nos assiettes – et de dizaines de milliers d’exploitations agricoles – se joue en ce moment même à Bruxelles.
À suivre donc, avec la plus grande attention.









