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Accord Historique sur le Pétrole de Heglig : Paix ou Mirage ?

Le Soudan du Sud vient de signer un accord tripartite incroyable : son armée va désormais protéger le champ pétrolier de Heglig, pris cette semaine par les paramilitaires soudanais. La production continue… mais pour combien de temps ? La suite va vous surprendre.

Imaginez un champ pétrolier qui représente à lui seul 70 % des recettes d’un État. Maintenant, imaginez que ce champ se trouve pile sur une frontière brûlante, entre deux pays dont l’un est en guerre civile depuis deux ans et demi. C’est exactement la situation explosive dans laquelle se trouve le site de Heglig depuis lundi dernier.

Et pourtant, contre toute attente, un accord vient d’être annoncé. Un accord qui place l’armée sud-soudanaise en gardienne d’un site stratégique… appartenant au Soudan. Comment en est-on arrivé là ?

Un accord tripartite inédit au cœur du chaos

Mercredi, le porte-parole du gouvernement sud-soudanais, Ateny Wek Ateny, a révélé l’existence d’un accord surprenant entre trois acteurs que tout oppose : l’armée sud-soudanaise (SSPDF), l’armée régulière soudanaise (SAF) et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR).

Le contenu de cet accord ? Les forces sud-soudanaises deviennent responsables de la sécurité du champ pétrolier de Heglig, situé en territoire soudanais mais vital pour l’économie du Soudan du Sud.

« Un accord tripartite a été conclu (…) accordant aux SSPDF la responsabilité principale de la sécurité du champ pétrolier de Heglig dans un contexte de tensions croissantes »

Ateny Wek Ateny, porte-parole du gouvernement sud-soudanais

Cette déclaration a de quoi surprendre. Les FSR viennent pourtant de revendiquer la prise totale du site après, selon eux, la « fuite » de l’armée soudanaise. Pourquoi accepteraient-ils soudain que des soldats d’un pays voisin assurent la sécurité ?

Heglig : un site plus que stratégique

Le champ de Heglig n’est pas n’importe quel gisement. Il abrite la principale installation de traitement du pétrole sud-soudanais destiné à l’exportation. Tout le brut extrait au Soudan du Sud transite par Heglig avant d’être acheminé via l’oléoduc vers Port-Soudan sur la mer Rouge.

En clair : sans Heglig, pas d’exportation. Et sans exportation, le Soudan du Sud, qui tire plus de 90 % de ses recettes budgétaires du pétrole, s’effondre économiquement en quelques semaines.

Le site se trouve à l’extrême sud du Kordofan méridional, région devenue ces derniers mois l’épicentre des combats entre l’armée régulière et les paramilitaires après la chute totale du Darfour.

Que s’est-il passé cette semaine ?

Lundi, les Forces de soutien rapide annoncent avoir pris le contrôle total de Heglig. Selon eux, les soldats de l’armée soudanaise ont abandonné leurs positions et fui vers le Soudan du Sud.

Preuve de cette déroute : Juba affirme avoir recueilli environ 1 650 sous-officiers et 60 officiers soudanais ayant déposé les armes. Ces militaires doivent être rapatriés prochainement.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Les FSR accusent ensuite l’armée soudanaise d’avoir lancé une attaque de drone sur le champ pétrolier, tuant « des dizaines » de personnes, dont des ouvriers et des ingénieurs civils.

Pourquoi le Soudan du Sud intervient-il maintenant ?

La réponse est simple : la survie économique. Le plus jeune pays du monde, indépendant depuis 2011, a hérité de 75 % des réserves pétrolières de l’ancien Soudan uni. Mais il reste totalement dépendant des infrastructures du Nord pour exporter son or noir.

Depuis le début de la guerre en avril 2023, Juba vit dans la peur permanente d’une coupure de l’oléoduc ou d’une destruction des installations de Heglig. Chaque explosion, chaque avancée militaire fait trembler l’économie sud-soudanaise.

En prenant la sécurité du site, le Soudan du Sud s’assure que la production continue. Le porte-parole l’a d’ailleurs répété : « La production pétrolière se poursuit » et il n’y a, selon lui, aucun dégât majeur ayant stoppé l’exploitation.

Un accord fragile dans un contexte explosif

Malgré les apparences, rien n’est gagné. Ni l’armée soudanaise ni les FSR n’ont officiellement confirmé l’accord annoncé par Juba. Le silence des deux belligérants est assourdissant.

Sur le terrain, la situation reste tendue. Le Kordofan est devenu le nouveau front principal après la prise du Darfour par les paramilitaires. Chaque camp a intérêt à contrôler les ressources pétrolières pour financer son effort de guerre.

Et puis il y a la question de la souveraineté. Accepter que l’armée d’un pays étranger sécurise un site sur son propre territoire est, pour Khartoum comme pour les FSR, une humiliation difficile à avaler publiquement.

Les enjeux humains derrière les barils

Derrière les tractations diplomatiques et militaires, il y a surtout des millions de vies en jeu. La guerre au Soudan a déjà fait des dizaines de milliers de morts et déplacé douze millions de personnes en deux ans et demi.

Au Soudan du Sud, malgré l’afflux de pétrodollars pendant quelques années, la population vit toujours dans une extrême pauvreté. L’instabilité politique chronique et les violences intercommunautaires empêchent tout développement réel.

Si l’accord de Heglig tient, il pourrait offrir un rare moment de stabilité régionale. S’il échoue, c’est tout l’équilibre précaire de la Corne de l’Afrique qui risque de basculer.

Et maintenant ?

Pour l’instant, les pompes tournent toujours à Heglig. Les soldats sud-soudanais seraient en train de se déployer discrètement autour des installations. Les deux camps soudanais, épuisés par des mois de combats acharnés, semblent avoir accepté – au moins temporairement – cette solution inattendue.

Mais dans une région où les alliances changent en quelques heures et où la méfiance est totale, rien n’est jamais acquis. Cet accord tripartite est peut-être le début d’une désescalade… ou simplement une parenthèse avant la prochaine explosion.

Une chose est sûre : le sort de millions de personnes, au Soudan comme au Soudan du Sud, dépend désormais de la capacité de ces trois armées ennemies à tenir parole autour d’un champ pétrolier devenu, bien malgré lui, le cœur battant de toute une région.

Un fragile espoir flotte sur Heglig. Pour la première fois depuis longtemps, la logique économique semble l’emporter sur la logique de guerre. Restera-t-il plus qu’un mirage dans le désert du Kordofan ?

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