Stupeur et controverse aux États-Unis. Malgré la révocation par le Pentagone début août d’un accord de peine négocié pour Khalid Cheikh Mohammed, considéré comme le « cerveau » des attentats du 11 septembre 2001, un juge militaire américain vient de le déclarer à nouveau valable. Selon une source proche du dossier, cette décision rendue mercredi devrait permettre à trois hommes détenus sur la base de Guantanamo, dont Mohammed, d’échapper à la peine capitale.
L’annonce fin juillet de cet arrangement, négocié en échange d’une réclusion criminelle à perpétuité selon des médias américains, avait provoqué un vif émoi chez de nombreux proches des près de 3000 victimes. Elle avait aussi suscité de virulentes critiques dans le camp républicain, en pleine campagne présidentielle. « Les familles des victimes, les membres de nos forces armées et les Américains méritent de voir les procès de la commission militaire être tenus dans cette affaire », avait alors réagi le ministre de la Défense Lloyd Austin.
Des accusations lourdes, un parcours judiciaire chaotique
Khalid Cheikh Mohammed, Walid bin Attash et Mustafa al-Hawsawi sont inculpés de terrorisme et du meurtre des milliers de personnes tuées le 11 septembre 2001, un des épisodes les plus traumatiques de l’histoire américaine. Mohammed s’était même vanté auprès d’enquêteurs d’avoir imaginé et organisé ces attentats, les plus meurtriers jamais perpétrés. La plupart des gens le connaissent grâce à la photo prise de lui le soir de sa capture en 2003, cheveux ébouriffés et moustache touffue, vêtu d’un pyjama blanc.
Pourtant, plus de 20 ans après les faits, aucun des trois hommes n’a encore été jugé. La procédure judiciaire s’est enlisée autour de la question de savoir si les tortures subies dans les prisons secrètes de la CIA entachaient les preuves à leur encontre.
Un juge militaire rétablit l’accord de peine
C’est dans ce contexte que l’accord de peine négocié, évitant un procès et la peine de mort à Mohammed et ses co-accusés, avait été annoncé fin juillet puis rapidement révoqué par le Pentagone face au tollé provoqué. Mais de façon inattendue, un juge militaire vient de le déclarer à nouveau valable.
“Le juge militaire a décidé que les accords préalables à la procédure pour les trois accusés sont recevables et applicables”
a expliqué à l’AFP un responsable américain sous couvert d’anonymat.
Pour l’heure, on ignore si les procureurs vont faire appel de cette décision qui relance la controverse. Plus de deux décennies après ces attentats qui ont bouleversé le monde, la quête de justice pour les victimes du 11-Septembre est loin d’être terminée. Et ce nouveau rebondissement judiciaire ravive les plaies encore à vif de l’Amérique.
Un débat déchirant entre justice et apaisement
Cette affaire cristallise le dilemme entre le besoin de rendre justice de façon exemplaire pour un crime aussi monstrueux, et la volonté de tourner enfin la page de ce traumatisme national. Faut-il risquer un procès fleuve ravivant les blessures et pouvant se conclure par la peine capitale ? Ou accepter une forme de compromis garantissant au moins que les terroristes finiront leur vie en prison ?
Au-delà des enjeux judiciaires, c’est une question profondément morale et émotionnelle qui déchire les Américains. Chaque camp avance des arguments puissants :
- D’un côté, beaucoup de familles de victimes ne peuvent accepter de “deal” avec ceux qui leur ont causé un tel préjudice, et réclament un procès public exemplaire, quitte à rouvrir les plaies.
- De l’autre, certains souhaitent éviter de donner une ultime tribune aux terroristes et aspirent à refermer ce douloureux chapitre, estimant que la perpétuité est une peine suffisante si elle permet d’avancer enfin.
À l’évidence, il n’y a pas de réponse parfaite ou unanime à un tel dilemme. Chaque victime, chaque Américain, aura son avis en conscience sur la façon de rendre justice tout en permettant à la nation de se reconstruire. Une chose est sûre : plus de 20 ans après, l’ombre du 11-Septembre plane toujours sur l’Amérique.
Un pays encore hanté par le 11-Septembre
Les conséquences de ces attaques ont profondément et durablement transformé les États-Unis. De la guerre contre le terrorisme aux controverses sur Guantanamo en passant par le Patriot Act, le pays a connu des mutations majeures en réaction à ce traumatisme. Parallèlement, les théories du complot ont proliféré, les discriminations envers les musulmans se sont accrues. Plus qu’un événement, le 11-Septembre est devenu un prismeà travers lequel l’Amérique se regarde et s’interroge sur son identité, ses valeurs, sa place dans le monde.
Aujourd’hui encore, l’émotion reste palpable à chaque commémoration des attentats. Les noms des disparus résonnent solennellement à Ground Zero, là même où s’élevaient jadis les tours jumelles. Leurs proches brandissent des photos, racontent des souvenirs, comme pour les garder vivants. Sur ce mémorial où coulent des fontaines à l’infini, l’Amérique pleure encore et encore.
Les cicatrices du 11-Septembre ne se sont jamais vraiment refermées. Elles se rouvrent à la moindre occasion, comme en écho à ce ciel de septembre éternellement heurté. Cette nouvelle péripétie judiciaire nous le rappelle : les attentats restent une blessure vive dans l’âme américaine. Et le chemin vers la paix intérieure est encore long et semé d’embûches pour un pays hanté par ce jour où tout a basculé.