Un vent de tourmente souffle sur l’Église catholique espagnole. Jeudi, le Défenseur du peuple (Ombudsman), Ángel Gabilondo, a exhorté avec fermeté l’État et la hiérarchie ecclésiastique à unir leurs forces pour indemniser les innombrables victimes d’agressions sexuelles perpétrées par des membres du clergé. Une coopération qui se fait encore attendre, au grand dam des personnes concernées.
200 000 à 400 000 victimes depuis 1940
Les chiffres donnent le vertige. Selon un rapport accablant publié en octobre dernier par une commission d’enquête indépendante, coordonnée par le Défenseur du peuple, ce sont pas moins de 200 000 mineurs qui auraient subi des violences sexuelles de la part de religieux depuis 1940. Un bilan qui pourrait même grimper jusqu’à 400 000 en incluant les sévices commis par des laïcs travaillant pour l’institution.
Face à l’ampleur de ce fléau trop longtemps tu, Ángel Gabilondo a martelé devant les députés qu’il était “essentiel que, pour le bien des victimes, l’Église et l’État adoptent des engagements communs” en matière de réparation. Une prise de conscience qui semble encore faire défaut côté épiscopal.
Un plan gouvernemental dans l’impasse
Pourtant, les autorités ont pris les devants. En avril, l’exécutif de gauche a validé un dispositif pour mettre en oeuvre les préconisations du rapport, dont la création d’un fonds public d’indemnisation des victimes. Mais depuis, c’est le statu quo. Le gouvernement se plaint du manque de coopération de l’Église, qui rechigne à mettre la main au pot.
Il est regrettable que contrairement à d’autres pays comme la France, l’Allemagne ou les États-Unis, l’Espagne n’ait toujours pas agi sur le sujet.
Ángel Gabilondo, Défenseur du peuple espagnol
Le plan controversé de l’épiscopat
La conférence épiscopale espagnole a bien présenté en juillet son propre projet de réparations. Mais celui-ci demeure lettre morte, l’Église conditionnant sa participation au fonds à son ouverture à l’ensemble des mineures victimes d’abus sexuels dans le pays, et non aux seules victimes de religieux. Une position inacceptable pour le gouvernement.
Des associations d’aide aux victimes ont aussi fustigé la mise à l’écart de l’Église lors de l’élaboration de ce programme. Sans compter la mauvaise foi des autorités ecclésiastiques qui, après des années de déni, ont fini par diligenter un audit auprès d’un cabinet d’avocats. Lequel a recensé… 2056 victimes, loin des estimations de la commission indépendante.
L’urgence d’une réponse à la hauteur
Il y a pourtant urgence à agir. Comme l’a souligné Ángel Gabilondo, il faut “prioriser la réparation aux victimes avant toute autre différence idéologique ou de croyance”. Derrière les querelles de chiffres et les atermoiements, ce sont des vies brisées qui attendent d’être reconnues et accompagnées. L’honneur et la crédibilité d’une institution multiséculaire sont aussi en jeu.
Un chemin de vérité et de justice que d’autres pays ont déjà emprunté, non sans douleur. Il est temps pour l’Église et l’État espagnols de prendre enfin leurs responsabilités. Les victimes ont assez payé le prix du silence.