C’est un séisme dans le monde associatif français. Un rapport réalisé pour Emmaüs International par le cabinet Egaé, fondé par la militante féministe Caroline de Haas, vient lever le voile sur des accusations d’agressions sexuelles visant une figure emblématique du XXe siècle : l’Abbé Pierre, fondateur du mouvement Emmaüs.
Six femmes témoignent, des faits sur plusieurs décennies
Selon les révélations publiées par le journal La Croix, pas moins de six femmes rapportent des faits pouvant être qualifiés d’agressions sexuelles de la part de l’Abbé Pierre, disparu en 2007. Une septième relate des propos déplacés et des sollicitations dérangeantes. Ces actes se seraient déroulés sur une période s’étalant de la fin des années 1970 jusqu’en 2005, soit deux ans avant la mort du prêtre.
Les victimes présumées étaient des salariées, des bénévoles ou des proches de l’entourage de l’abbé au sein du mouvement Emmaüs. Face à ces témoignages accablants, Emmaüs International a pris la décision de rendre ces éléments publics et met en place une cellule d’écoute pour recueillir d’autres témoignages éventuels.
L’image du “saint laïc” écornée
Henri Grouès, dit l’Abbé Pierre, était considéré de son vivant comme une sorte de “saint laïc”, adulé pour son combat acharné contre la misère. Prêtre, résistant, député, il avait fondé le mouvement Emmaüs en 1949 pour venir en aide aux plus démunis. Son appel à la solidarité lors de l’hiver 1954 est entré dans l’histoire. Aujourd’hui, ces accusations entachent sérieusement la réputation de cet homme d’Église engagé.
Le Mouvement Emmaüs rend publics des faits qui peuvent s’apparenter à des agressions sexuelles ou du harcèlement sexuel, commis par l’abbé Pierre.
– Extrait du communiqué d’Emmaüs International
Un travail d’introspection nécessaire
Cette affaire vient rappeler que même les figures les plus respectées ne sont pas à l’abri de dérives et de comportements répréhensibles. Elle souligne aussi l’importance pour les organisations de faire la lumière sur leur histoire, même quand celle-ci s’avère douloureuse.
En mandatant le cabinet d’expertise Egaé, connu pour son engagement féministe, pour mener l’enquête en interne, Emmaüs International a fait le choix de la transparence. Un choix courageux mais nécessaire pour permettre aux victimes de libérer leur parole et entamer un travail de mémoire.
Quel avenir pour l’héritage de l’Abbé Pierre ?
Malgré le choc de ces révélations, le mouvement Emmaüs entend poursuivre son action auprès des plus démunis, fidèle à sa mission originelle. La Fondation Abbé Pierre, créée en 1992 pour pérenniser son combat, a rapidement réagi :
Si les faits sont avérés, ils sont contraires aux valeurs que l’abbé Pierre a défendues et qui animent notre Fondation depuis toujours.
– Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre
Au-delà de la sidération, c’est tout un pan de l’histoire du catholicisme social et de la lutte contre l’exclusion qui vacille. L’onde de choc promet d’être rude pour Emmaüs et tous ceux qui se revendiquent de l’héritage de l’Abbé Pierre. Il faudra du temps pour panser les plaies et repenser la mémoire de cette figure tutélaire.
Une chose est sûre : la parole des victimes, trop longtemps étouffée, doit être entendue et reconnue. C’est à ce prix que l’essence du message de l’abbé, celle de la dignité pour tous, pourra perdurer au-delà de l’homme et de ses failles.
