Le 5 décembre 2024, dans un quartier général discret de la banlieue de Damas, un officier iranien rassemble une vingtaine de militaires syriens qui travaillaient sous ses ordres. Le silence est lourd. L’homme, connu sous le nom de guerre « hajj Abou Ibrahim », prend la parole sans détour : « À partir d’aujourd’hui, il n’y aura plus de Gardiens de la révolution en Syrie. Nous partons. »
Ces mots, prononcés trois jours seulement avant la chute définitive du régime de Bachar al-Assad, marquent la fin brutale d’une alliance qui durait depuis plus de treize ans. L’Iran, pilier indéfectible du pouvoir syrien depuis 2011, choisit l’abandon au moment où les rebelles lancent leur offensive éclair depuis Idleb.
L’annonce qui a sonné le glas du régime
Ce 5 décembre, l’ordre est clair et implacable. Les officiers syriens présents reçoivent la consigne de détruire tous les documents sensibles, de retirer les disques durs des ordinateurs, de brûler ce qui peut l’être. Un mois de salaire leur est versé d’avance. Puis plus rien. « Tout est fini, nous ne sommes plus responsables de vous », lâche le responsable iranien avant de disparaître.
L’un de ces officiers syriens, encore sous le choc des événements, raconte avoir quitté le bâtiment sans comprendre. Il rentre chez lui, attend. Trois jours plus tard, le 8 décembre à l’aube, Damas tombe sans qu’un seul coup de feu ne soit tiré dans la capitale. Bachar al-Assad a déjà fui vers Moscou.
Le consulat vidé en une nuit
Le même scénario se répète au consulat iranien de Damas. Deux employés syriens, qui ont requis l’anonymat par peur de représailles, se souviennent parfaitement de cette soirée du 5 décembre. Tout le personnel diplomatique plie bagage en quelques heures. Les bureaux sont vidés, les archives emportées ou détruites.
Certains employés syriens possédant la double nationalité iranienne partent avec les diplomates. Les autres reçoivent trois mois de salaire et l’ordre de rester chez eux. Le lendemain matin, le 6 décembre, l’ambassade et le consulat sont des coquilles vides. Plus un seul drapeau iranien. Plus un seul garde.
« Ils sont partis par la route vers Beyrouth, en convoi. C’était organisé, rapide, sans panique apparente. »
Un ancien employé du consulat
Un embouteillage révélateur à la frontière libanaise
Au poste-frontière de Jdaidet Yabous, côté syrien, les 5 et 6 décembre resteront dans les mémoires. Un fonctionnaire de l’époque décrit un chaos organisé : des dizaines de véhicules aux plaques iraniennes, des 4×4 blindés, des bus, des camions. Des familles entières de conseillers militaires, parfois avec enfants.
L’attente dure des heures. Les douaniers syriens, déjà démotivés par l’avancée rebelle, laissent passer sans contrôle approfondi. Personne n’ose poser de questions. L’exode est massif, discret, mais impossible à cacher.
Alep tombe, l’Iran disparaît des champs de bataille
Dès la prise d’Alep le 29 novembre 2024, le comportement iranien change radicalement. Le colonel Mohammad Dibo, aujourd’hui dans la nouvelle armée syrienne, se souvient : après cette défaite majeure, plus aucun ordre de combat n’émane des officiers iraniens. Les milices chiites sous leur contrôle cessent progressivement de résister.
Lorsque les rebelles entrent dans les anciennes bases iraniennes d’Alep, ils découvrent des scènes d’abandon précipité. Des passeports iraniens oubliés, des uniformes des Gardiens de la révolution, des photos de famille, des slogans en persan sur les murs. Et surtout : aucun combattant.
Dans l’une des bases abandonnées, un journaliste a pu voir encore accroché au mur un grand portrait de l’ayatollah Khamenei à côté du drapeau du Hezbollah. Tout autour : des ordinateurs éventrés, des armoires ouvertes, des câbles arrachés.
L’évacuation massive via la base russe de Hmeimim
Près de 4 000 militaires et conseillers iraniens auraient été exfiltrés par la base aérienne russe de Hmeimim, selon plusieurs témoignages concordants. Certains hauts responsables, comme le fameux « hajj Jawad », sont directement montés dans des avions cargo russes direction Téhéran depuis Hama.
D’autres ont pris la route vers l’Irak ou le Liban. Les positions stratégiques autour du sanctuaire chiite de Sayyida Zeinab, au sud de Damas, véritable symbole de la présence iranienne, sont abandonnées sans combat. L’aéroport international, autre point névralgique, passe sous contrôle rebelle sans résistance.
Un abandon stratégique ou une panique calculée ?
L’Iran n’a jamais officiellement commenté ce retrait fulgurant. Mais les faits sont là : dès la perte d’Alep, Téhéran semble avoir compris que le régime Assad était condamné. Plutôt que de sacrifier davantage d’hommes et de matériel dans une bataille perdue d’avance, le choix est fait de préserver les forces pour d’autres théâtres – Liban, Irak, Yémen.
Cet abandon marque probablement la fin d’un chapitre majeur de l’influence iranienne au Levant. Treize ans après le début de son engagement massif aux côtés d’Assad, l’Iran tourne la page sans un regard en arrière. Les officiers syriens qui avaient placé leur confiance dans les Gardiens de la révolution se retrouvent seuls face à leur destin.
Aujourd’hui, dans les rues de Damas, certains anciens soldats du régime racontent encore, à voix basse, cette phrase qui a résonné comme un glas : « Tout est fini. » Elle résume à elle seule l’effondrement d’un système et la fin d’une alliance que beaucoup croyaient indéfectible.
Le 8 décembre 2024, quand les premiers blindés rebelles entrent dans la capitale sans rencontrer de résistance, nombreux sont ceux qui comprennent, trop tard, que l’Iran avait déjà tourné la page deux jours plus tôt.
Et pendant que Bachar al-Assad atterrit à Moscou, quelque part au-dessus de la Méditerranée, des avions russes transportent déjà vers Téhéran ceux qui, pendant des années, avaient été présentés comme les sauveurs du régime syrien.
L’histoire retient parfois mieux les trahisons que les loyautés.









