Après cinq mois de travail et une trentaine d’auditions, la Commission d’enquête du Sénat sur les obligations de TotalEnergies a rendu ses conclusions. Dans un rapport adopté à la quasi-unanimité, elle réaffirme le caractère stratégique de l’entreprise pour la France et préconise des mesures pour renforcer le contrôle de l’État.
Une “action spécifique” pour garder le contrôle
La proposition phare du rapport est la réintroduction d’une “action spécifique” au capital de TotalEnergies. Ce dispositif permettrait à l’État d’exercer un droit de veto sur certaines décisions sensibles, comme un éventuel transfert du siège social hors de France. Une perspective évoquée par le PDG Patrick Pouyanné, qui inquiète les sénateurs :
Nous avons confiance en Patrick Pouyanné, mais il n’est pas éternel.
– Roger Karoutchi, président LR de la Commission
L’acquisition d’une telle action coûterait à l’État le prix d’un simple titre, soit 62,19 euros lors de la publication du rapport. Un investissement jugé plus réaliste qu’une entrée massive au capital, qui nécessiterait un budget colossal de plusieurs milliards.
Accélérer la transition énergétique
Au-delà du contrôle capitalistique, le rapport invite TotalEnergies à accélérer sa transition vers les énergies renouvelables. Le rapporteur écologiste Yannick Jadot estime que le groupe n’est pas aligné avec les accords de Paris en tablant sur une augmentation de sa production de gaz. Il plaide pour un arrêt des nouveaux investissements dans les énergies fossiles.
Stopper les importations de gaz russe
Autre recommandation forte : l’arrêt des importations françaises de gaz naturel liquéfié (GNL) russe, non concernées par les sanctions européennes actuelles. Sur les trois premiers mois de 2024, ces achats ont représenté 600 millions d’euros. Une mesure qui ne viserait pas uniquement TotalEnergies, mais l’ensemble des acteurs européens du secteur.
Revoir le financement des projets pétroliers
Les sénateurs suggèrent aussi de couper les financements des banques françaises aux nouveaux projets pétroliers et gaziers. Saluant l’engagement de BNP Paribas en ce sens, ils appellent les autres établissements à lui emboîter le pas. Le poids encore prépondérant des énergies fossiles dans les investissements de TotalEnergies justifierait par ailleurs son exclusion des produits labellisés “investissement socialement responsable”.
Mieux évaluer les crédits carbone
La Commission pointe enfin la nécessité d’un renforcement des méthodes d’évaluation des crédits carbone et des plans de vigilance des entreprises, y compris dans leur dimension extraterritoriale. Un meilleur suivi des bilans carbone et des trajectoires de transition est jugé indispensable.
Contrôler la mobilité public-privé
Au-delà du cas TotalEnergies, le rapport formule des recommandations plus larges, comme un contrôle accru des allers-retours de hauts fonctionnaires entre le public et le privé. Sans les proscrire, les sénateurs plaident pour une vigilance renforcée sur les conflits d’intérêts, en particulier dans certains secteurs sensibles.
Des propositions qui dessinent les contours d’un État stratège, soucieux de garder la main sur des entreprises et des secteurs jugés cruciaux pour la souveraineté nationale. Avec en toile de fond l’enjeu de la transition énergétique et de l’avenir du mix français. Reste à voir quelles suites l’exécutif donnera à ces recommandations sénatoriales, qui ont valeur d’aiguillon dans le débat public.