Imaginez un café animé à Kaboul, où les rires et les cliquetis des pièces d’échecs résonnent jusqu’au crépuscule. Soudain, le silence s’installe : les talibans viennent de déclarer ce jeu millénaire interdit. En Afghanistan, les échecs, autrefois symbole de stratégie et de convivialité, sont désormais considérés comme un péché. Cette décision, annoncée en mai 2025, a secoué les amateurs du jeu et révèle une fois de plus les restrictions croissantes imposées par le régime taliban. Comment un simple jeu de plateau peut-il devenir un enjeu religieux et social ? Plongeons dans cette histoire où tradition, religion et liberté s’entremêlent.
Les Échecs, Nouveau Symbole d’Interdit
Les échecs, un jeu vieux de plusieurs siècles, ont toujours occupé une place particulière en Afghanistan. Dans les cafés de Kaboul ou les villages reculés, ils rassemblaient jeunes et moins jeunes autour d’une table, favorisant les échanges et la réflexion. Pourtant, en 2025, ce passe-temps est devenu une activité haram, c’est-à-dire interdite par la loi islamique telle qu’interprétée par les talibans. Selon un porte-parole officiel, les échecs seraient assimilés à un jeu d’argent, une pratique prohibée par la loi sur la Propagation de la vertu et la prévention du vice, adoptée en 2024.
Cette interdiction ne se limite pas à une simple règle administrative. Elle s’inscrit dans une vision plus large, où les talibans cherchent à imposer une lecture ultra-rigoriste de l’islam. Les échecs, jugés comme porteurs d’« enjeux religieux », sont suspendus jusqu’à ce que leur compatibilité avec la charia soit réexaminée. Mais qu’est-ce qui rend ce jeu si problématique aux yeux du régime ?
Une Interprétation Controversée
Pour les talibans, les échecs représenteraient une forme de pari, une activité contraire aux principes de la charia. Cette justification, cependant, laisse perplexes de nombreux Afghans. Dans un café de la capitale, un gérant de 46 ans, que nous appellerons Aziz, exprime son incompréhension :
Dans beaucoup de pays musulmans, les échecs sont joués à un niveau international. Où est le péché là-dedans ?
Aziz, gérant de café à Kaboul
Aziz n’est pas seul à douter. Les échecs, loin d’être un simple divertissement, sont un symbole de stratégie et d’intelligence dans de nombreuses cultures, y compris musulmanes. Des pays comme l’Iran ou l’Arabie saoudite comptent des joueurs professionnels qui participent à des tournois mondiaux. En Afghanistan, cependant, le jeu est désormais perçu comme une menace à l’ordre moral.
Pour mieux comprendre, il faut se pencher sur la loi sur la Propagation de la vertu et la prévention du vice. Ce texte, vague dans ses formulations, donne aux autorités talibanes une large marge de manœuvre pour interdire toute activité jugée incompatible avec leur vision de l’islam. Les échecs, comme d’autres pratiques, deviennent alors des cibles faciles.
L’Impact sur les Passionnés
Dans les rues de Kaboul, l’interdiction des échecs a semé la tristesse parmi les amateurs. Les cafés, autrefois lieux de rencontre pour les joueurs, se vident peu à peu. Aziz, le gérant, regrette l’ambiance d’antan :
Les jeunes venaient jouer tous les jours, sans jamais parier. Maintenant, ils n’ont plus de raison de se réunir.
Aziz, gérant de café
Les échecs, en Afghanistan, n’étaient pas seulement un jeu. Ils étaient un prétexte pour tisser des liens, partager des idées et échapper, ne serait-ce qu’un instant, aux difficultés du quotidien. Pour beaucoup, cette interdiction est une perte culturelle, un pas de plus vers l’isolement social.
Pourquoi les échecs étaient-ils si populaires ?
- Un jeu accessible, nécessitant peu de moyens.
- Un symbole de stratégie, prisé par des figures historiques comme le commandant Massoud.
- Une activité sociale, renforçant les liens communautaires.
Une Histoire de Contrôle
L’interdiction des échecs n’est pas un cas isolé. Depuis leur retour au pouvoir en 2021, les talibans ont multiplié les restrictions, visant à modeler la société afghane selon leurs idéaux. Parmi les mesures récentes :
- Interdiction des MMA : Jugés trop violents et contraires à la charia en 2024.
- Restrictions sur les femmes : Exclusion des parcs, salles de sport et universités.
- Contrôle des loisirs : Seuls certains sports, comme le cricket masculin, restent autorisés.
Ces décisions reflètent une volonté de contrôler non seulement les comportements, mais aussi les espaces de liberté. Les échecs, en tant que jeu intellectuel, représentaient peut-être une forme de résistance passive, un espace où les esprits pouvaient s’exprimer librement.
Les Échecs et la Mémoire Culturelle
Les échecs ne sont pas qu’un jeu en Afghanistan ; ils portent une charge historique. Un photographe, ami du célèbre commandant Massoud, a rappelé que ce dernier aimait jouer dans les montagnes du Panshir, même en temps de guerre. Ce détail, anecdotique en apparence, montre à quel point les échecs étaient ancrés dans la culture afghane, même dans les moments les plus sombres.
En interdisant ce jeu, les talibans effacent une partie de cette mémoire collective. Ils privent les nouvelles générations d’un lien avec leur passé, tout en limitant les opportunités de dialogue et de réflexion.
Les Femmes, Premières Victimes
Si l’interdiction des échecs touche toute la population, les femmes afghanes restent les principales victimes des politiques talibanes. Depuis 2021, elles ont été progressivement exclues de la vie publique :
Domaine | Restriction |
---|---|
Éducation | Interdiction des universités pour les femmes. |
Loisirs | Accès interdit aux parcs et salles de sport. |
Travail | Restrictions sur de nombreux emplois. |
Ces mesures, dénoncées par l’ONU comme un « apartheid de genre », isolent les femmes et réduisent leurs opportunités d’épanouissement. Les échecs, bien que moins médiatisés, s’inscrivent dans cette logique de contrôle total.
Vers un Avenir Silencieux ?
L’interdiction des échecs peut sembler anecdotique face aux défis plus larges auxquels l’Afghanistan est confronté : pauvreté, insécurité, crises humanitaires. Pourtant, elle symbolise une érosion progressive des libertés individuelles. En privant les Afghans d’un jeu aussi universel, les talibans envoient un message clair : tout ce qui échappe à leur contrôle est une menace.
Pour les passionnés comme Aziz, l’espoir réside dans la résilience. Les échecs, après tout, sont un jeu de patience et de stratégie. Peut-être que, dans l’ombre, les Afghans continueront à jouer, défiant silencieusement les interdits.
Un pion peut-il renverser un roi ? L’avenir nous le dira.