62% pour LFI, 74% à gauche… Les chiffres du vote des musulmans aux élections européennes de 2024 interpellent. Ils confirment un ancrage à gauche déjà observé en 2022, quand 69% de cet électorat avait choisi Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. Mais ils révèlent aussi une abstention record de 59%, 10 points au-dessus de la moyenne nationale. Comment analyser ces tendances paradoxales ? Quelles motivations animent les électeurs musulmans ? Quel impact sur le paysage politique français ? Plongée au cœur d’un vote qui soulève de nombreuses questions.
Un électorat acquis à la gauche
Le sondage Ifop pour La Croix est sans appel : les musulmans votent très majoritairement à gauche. Lors des Européennes du 9 juin 2024, pas moins de 74% de ceux qui se sont déplacés ont choisi des listes de gauche (LFI, PC, PS, écologistes). Avec 62% des suffrages chez les musulmans, La France insoumise capte l’essentiel de ce vote. Une tendance lourde, dans la continuité de la présidentielle 2022 où déjà 69% de cet électorat avait soutenu Jean-Luc Mélenchon.
Cette inclination à gauche des musulmans n’est pas nouvelle. Mais elle s’accentue ces dernières années, comme le note le politologue Haoues Seniguer :
Le geste électoral n’induirait pas de changement social, propre à avoir une incidence sur sa vie personnelle.
Haoues Seniguer
Autrement dit, voter à gauche apparaît comme un réflexe identitaire et communautaire plus que comme un véritable choix politique pour beaucoup de musulmans. Un constat qui interroge sur la profondeur de cet ancrage à gauche.
La guerre à Gaza comme catalyseur
Parmi les motivations de ce vote musulman à gauche, un enjeu ressort clairement : le conflit israélo-palestinien. Selon l’Ifop, 83% des électeurs musulmans citent la guerre à Gaza comme un déterminant de leur choix, contre seulement 25% dans l’ensemble de la population.
Un résultat peu surprenant au vu de la campagne de LFI, qui a beaucoup mis en avant ce sujet. Avec notamment Rima Hassan, militante franco-palestinienne, en 7ème position sur la liste. Un positionnement assumé pour capter le vote communautaire musulman, comme le souligne un cadre insoumis :
C’est vrai qu’on a beaucoup parlé de la Palestine. On sait que c’est un sujet sensible pour une partie de notre électorat. Mais on ne peut pas nous accuser de communautarisme pour autant.
Un cadre de LFI
Reste que cette stratégie, payante électoralement, pose question. Certains y voient les germes d’un islam politique accru et d’une difficulté croissante à séparer enjeux religieux et politiques dans certains quartiers.
L’abstention, l’autre tendance inquiétante
Si le vote musulman penche clairement à gauche, il se caractérise aussi par une abstention record. 59% des inscrits de confession musulmane ont boudé les urnes le 9 juin, soit 10 points de plus que la moyenne nationale déjà élevée (49%).
Un désengagement electoral qui touche particulièrement la jeunesse issue de l’immigration, comme le pointe le sociologue Vincent Tiberj :
Les jeunes Français d’origine maghrébine ou africaine votent moins que les autres. Ils ne se sentent pas représentés, ont le sentiment que leur vote ne change rien.
Vincent Tiberj
Un constat alarmant, qui renvoie à la crise de la représentation politique dont souffre le pays. Et interroge sur la capacité des partis, y compris à gauche, à incarner les aspirations de cette partie de la population.
Quelles conséquences pour l’avenir ?
Le vote musulman, entre ancrage à gauche et hausse de l’abstention, apparaît donc comme un marqueur des fractures qui traversent la société française. Certains y voient le signe d’une fragmentation communautaire inquiétante. D’autres relativisent la portée de ce vote, minoritaire parmi les électeurs de gauche.
Reste que ces résultats dessinent une équation complexe pour les partis, notamment ceux de gauche. Comme le résume le politologue Haoues Seniguer :
Les mélenchonistes devront rembourser leur dette en acceptant un nombre croissant d’accommodements confessionnels.
Haoues Seniguer
Autrement dit, l’enjeu sera de répondre aux attentes d’un électorat courtisé, sans pour autant renoncer à des valeurs universalistes. Un équilibre périlleux, au risque d’alimenter les tensions et les procès en “islamo-gauchisme”.
Quoi qu’il en soit, le vote musulman, par son poids et ses paradoxes, s’impose comme un sujet politique majeur. Révélateur des clivages de la société, il pourrait peser fortement sur les futures échéances électorales et les débats qui traversent le pays. A surveiller de près.