Alors que l’Europe s’efforce de réduire sa dépendance au gaz russe depuis l’invasion de l’Ukraine, les derniers chiffres révèlent un rebond surprenant des importations en provenance de Russie. En mai 2023, l’Europe a importé davantage de gaz russe que de gaz américain, une première depuis près de deux ans. Cette situation met en lumière les défis complexes auxquels sont confrontés les pays européens dans leur quête d’indépendance énergétique vis-à-vis de Moscou.
Une Dépendance Difficile à Rompre
Malgré les sanctions et la volonté affichée de se sevrer du gaz russe, les importations européennes ont augmenté de 28% depuis janvier par rapport à l’année précédente. Gazprom, le géant énergétique russe, a exporté 2,5 milliards de mètres cubes vers l’Europe en mai, contre 1,8 milliard en avril. Une tendance à la hausse qui se poursuit depuis maintenant 9 mois consécutifs.
Cette situation soulève des questions quant à l’efficacité réelle des mesures prises par l’UE pour réduire sa dépendance. Thierry Bros, spécialiste français de l’énergie, dénonce l’hypocrisie des dirigeants européens qui continuent de parler de réduction de la demande intérieure et des approvisionnements russes, alors que dans les faits, c’est tout l’inverse qui se produit.
Le Gaz Russe, Moins Cher et Plus Accessible
Plusieurs facteurs expliquent ce rebond des importations de gaz russe. Tout d’abord, le gaz russe reste moins cher que ses concurrents, notamment le GNL américain. En période de crise énergétique et d’inflation, cet aspect économique pèse lourd dans la balance. Comme le souligne Thierry Bros, aucun trader ne s’abstiendrait de faire une telle transaction si elle est autorisée et financièrement avantageuse.
De plus, les infrastructures gazières reliant la Russie à l’Europe sont toujours en place, facilitant l’acheminement du gaz même en temps de crise. À l’inverse, les capacités de GNL européennes restent limitées, malgré les efforts de diversification.
Des Pays Européens Plus Dépendants que D’autres
Tous les pays européens ne sont pas logés à la même enseigne face à leur dépendance au gaz russe. L’Autriche se distingue avec une dépendance qui atteint désormais 95%, malgré les appels à rompre les contrats avec Gazprom. La Hongrie, la Grèce et la Slovaquie ont également augmenté leurs commandes de 25%.
Tout le monde ferme les yeux en Europe de peur que les prix n’augmentent.
– Thierry Bros, expert énergétique
Cette situation crée des tensions au sein de l’UE, certains pays ayant fait le choix d’un embargo total sur le gaz russe, comme le Royaume-Uni, tandis que d’autres maintiennent voire renforcent leur approvisionnement.
Gazprom Fragilisé Malgré Tout
Si les importations européennes de gaz russe sont reparties à la hausse, Gazprom n’en sort pas indemne pour autant. Le géant russe a enregistré en 2023 sa première perte nette en plus de 20 ans, s’élevant à 6,9 milliards de dollars. La chute globale des ventes en Europe, son principal marché, en est la cause.
De plus, alors que le Kremlin prévoit d’augmenter encore la pression fiscale sur Gazprom en 2024, l’entreprise a annoncé une réduction de 15% de ses investissements cette année. Un signe supplémentaire de fragilité pour ce pilier de l’économie russe.
Quel Avenir Pour le Gaz Russe en Europe ?
Malgré ce rebond conjoncturel, la tendance de fond reste à une réduction de la dépendance européenne au gaz russe. Les stocks de gaz de l’UE sont à un niveau record pour la saison, signe que les efforts de diversification portent leurs fruits petit à petit.
Cependant, se sevrer totalement du gaz russe prendra du temps et nécessitera des investissements massifs dans les infrastructures énergétiques alternatives. L’Europe doit trouver un équilibre délicat entre sécurité d’approvisionnement, coût de l’énergie et impératifs géopolitiques. Un défi de taille qui testera la cohésion et la détermination des Vingt-Sept dans les années à venir.
La question du gaz russe continuera sans nul doute d’enflammer le débat européen, entre pragmatisme économique et volonté d’indépendance stratégique. Une chose est sûre : le chemin vers une Europe totalement émancipée de l’énergie russe sera long et semé d’embûches.