En cette période de campagne des élections législatives, les fantômes idéologiques du passé semblent ressurgir avec force sur la scène politique française. Alors que le temps presse pour former des alliances et séduire les électeurs, certains n’hésitent pas à convoquer les heures sombres de l’Histoire pour discréditer leurs adversaires. Une instrumentalisation dangereuse qui en dit long sur la radicalisation du débat public.
Quand la gauche crie aux « purges staliniennes »
La création express du « Nouveau Front Populaire », réunissant socialistes, communistes et insoumis, n’aura pas survécu bien longtemps à ses propres contradictions. Déjà fragmentée, la coalition subit de plein fouet l’éviction de plusieurs cadres de la France Insoumise des listes d’investitures pour les législatives. Un « grand ménage » qui passe mal auprès de nombreux militants et élus de gauche.
La députée Clémentine Autain n’hésite ainsi pas à dénoncer des « purges staliniennes », faisant explicitement référence aux épurations sanglantes menées par le dictateur soviétique dans les années 1930. Si la comparaison peut choquer par son outrance, elle témoigne surtout d’une banalisation de l’argument historique pour disqualifier l’adversaire politique. Une dérive symptomatique d’un débat de plus en plus hystérisé et clivant.
Le spectre du communisme toujours présent
Pourtant, la présence du Parti Communiste au sein de cette union de la gauche devrait inciter à la prudence lorsqu’il s’agit d’évoquer des crimes contre l’humanité. Car si le nazisme a été vaincu en 1945 et condamné à Nuremberg, le communisme stalinien n’a jamais eu à rendre de comptes, alors même qu’il fut responsable de millions de morts dans les goulags.
Les mêmes mains qui nous avaient passé les menottes, aujourd’hui, conciliantes, nous présentent la paume : « Non ! Il ne faut pas remuer le passé !… », écrivait Alexandre Soljenitsyne dans l’Archipel du Goulag.
– Alexandre Soljenitsyne
Un tabou mémoriel qui tranche avec l’omniprésence de la Shoah et du nazisme dans nos consciences collectives. Il est vrai que les communistes furent des alliés précieux dans la lutte contre Hitler. Mais cela ne saurait absoudre l’idéologie marxiste-léniniste de ses propres dérives totalitaires et meurtrières, de Moscou à Phnom Penh en passant par La Havane.
L’extrême-droite, bouc-émissaire commode
Dans le même temps, la marche en avant du Rassemblement National dans les sondages réactive le vieux réflexe de « diabolisation » à l’extrême-droite. Le parti de Marine Le Pen se voit systématiquement renvoyé à ses origines douteuses et à la filiation assumée avec le régime de Vichy et la collaboration. Un procès en sorcellerie permanant qui semble interdire tout aggiornamento idéologique.
Pourtant, le RN a fait sa mue, excluant les éléments les plus radicaux comme Jean-Marie Le Pen et ses provocations antisémites. Une évolution saluée par des personnalités aussi respectées que Serge Klarsfeld. Mais rien n’y fait, le parti reste persona non grata, indigne de participer au débat républicain. Une posture moralisatrice qui a le mérite de la simplicité, à défaut de la nuance.
Pour un usage raisonné et équitable de l’Histoire
Convoquer l’Histoire à des fins politique n’est pas illégitime en soi. Encore faut-il le faire avec rigueur, honnêteté et équité. Brandir l’épouvantail des heures sombres est une facilité intellectuelle qui ne grandit personne. Cela revient à nier la complexité du réel et la capacité des idéologies à évoluer avec le temps.
Plutôt que de rejouer indéfiniment les grands traumatismes du 20ème siècle, il serait plus fécond d’analyser sereinement l’héritage et les mutations des différentes traditions politiques. Aucune famille de pensée n’a le monopole du bien ou du mal. Chacune porte en elle sa part d’ombre et de lumière qu’il convient d’appréhender avec nuance et discernement.
En cette période électorale tendue, il est plus que jamais nécessaire de raison garder. Ne laissons pas le passé polluer le débat présent avec ses vieux réflexes et ses peurs irraisonnées. L’Histoire n’est pas un gourdin pour assommer l’adversaire mais une source d’enseignements pour éclairer l’avenir. À condition de l’aborder avec l’humilité et la Distance critique qu’elle mérite.