Samedi 15 juin, seulement 250 000 personnes ont répondu à l’appel des partis de gauche à manifester contre le Rassemblement National dans toute la France. Un chiffre en net recul par rapport à la mobilisation historique de 2002 contre Jean-Marie Le Pen, malgré la percée du RN aux européennes. Vincent Tournier, politologue et maître de conférences à Science Po Grenoble, décrypte ce paradoxe.
Une menace perçue comme moins intense qu’en 2002
Si la mobilisation anti-RN peine aujourd’hui à décoller, c’est d’abord parce que « la menace que représente le parti à la flamme est moins intense qu’autrefois » selon Vincent Tournier. En 2002, l’accession surprise de Jean-Marie Le Pen au second tour avait provoqué un véritable « effet de sidération », sur fond de « Grande peur » et de rhétorique antifasciste jouant sur les ressorts de l’Histoire. A contrario, la poussée actuelle du RN était largement anticipée par les sondages. De plus, « rien ne dit que le RN va pouvoir conserver ses voix » au premier tour des législatives, scrutin de moindre enjeu pour les électeurs que la présidentielle.
Une jeunesse de moins en moins réfractaire au vote RN
Autre fait notable, la présence de nombreux jeunes dans les cortèges, alors même que Jordan Bardella est parvenu à capter une part significative de cet électorat aux européennes. Selon un récent sondage Ifop, le jeune président par intérim du RN est ainsi crédité de 28% chez les 18-34 ans, talonnant Manon Aubry (LFI) à 25% chez les 18-24 ans. Preuve que « depuis quelque temps, la jeunesse n’est plus mécaniquement réfractaire au RN » analyse Vincent Tournier. Un constat qui vaut aussi pour les femmes, désormais autant enclines que les hommes à glisser un bulletin RN dans l’urne.
Un « Nouveau Front Populaire » déconnecté des classes populaires
Mais c’est surtout du côté de l’électorat ouvrier que le discours du « Nouveau Front Populaire », alliance des gauches née à l’occasion de ces législatives, semble peiner à trouver un écho. « Contrairement à la situation qui prévalait en 1936, cette alliance n’a rien de populaire, les ouvriers ayant largement déserté la gauche au profit du RN » souligne Vincent Tournier. Un paradoxe qui illustre le fossé grandissant entre une certaine gauche et les classes populaires qu’elle prétend représenter.
Il est assez paradoxal que la gauche ait décidé de s’unir sous l’intitulé «Nouveau Front populaire» car, contrairement à la situation qui prévalait en 1936, cette alliance n’a rien de populaire, les ouvriers ayant largement déserté la gauche au profit du RN.
Vincent Tournier, politologue
Au final, cette faible mobilisation anti-RN interroge sur la capacité de la gauche à reconquérir les classes populaires qui lui ont tourné le dos. Malgré une union en trompe-l’œil, cette famille politique semble plus que jamais éloignée des préoccupations d’un électorat ouvrier tenté par le vote RN, sur fond de profondes mutations du clivage gauche-droite traditionnel. Un défi majeur pour la survie de cette gauche « Nouveau Front populaire » qui, pour l’heure, s’apparente davantage à un mirage rhétorique qu’à une réalité sociologique.