Derrière ce mot barbare de “scantrad” se cache un phénomène massif de piratage qui met à mal toute l’industrie du manga. Contraction de “scan” et “traduction”, le scantrad consiste à numériser des mangas puis à les traduire, avant de les diffuser gratuitement en ligne. Un système bien rodé s’est mis en place, avec d’un côté de simples passionnés, et de l’autre de véritables pirates industriels profitant d’une manne publicitaire sur le dos des éditeurs. Enquête sur les coulisses de ce far west numérique.
Entre Amateurs Bénévoles Et Pirates Sans Scrupule
La plupart des éditeurs distinguent deux grandes catégories de “scantradeurs”. Il y a d’abord les passionnés, souvent regroupés en “teams”, qui scannent et traduisent des chapitres par pur amour du manga, sans but lucratif. Beaucoup retirent d’ailleurs le contenu dès qu’on leur demande.
Ils le font très gentiment – et s’excusent même – mais ils n’ont pas conscience qu’ils peuvent nuire à l’auteur et à l’œuvre qu’ils aiment.
– Satoko Inaba, directrice éditoriale manga chez Glénat
A l’opposé, on trouve de gros agrégateurs de contenus qui n’hésitent pas à piller le travail des scantradeurs amateurs pour en tirer profit via la publicité. Installés à l’étranger, ces sites sont très difficiles à faire fermer et représentent une véritable menace économique pour les éditeurs.
Des Impacts Difficiles À Mesurer
L’un des arguments phares des scantradeurs est que leur activité permet de faire découvrir des mangas et de créer un engouement dont profiteraient les ventes de volumes papier. Mais les éditeurs sont dubitatifs. Pour certains titres ayant cartonné en scantrad, les ventes physiques ne décollent pas forcément.
On a une œuvre qui s’appelle World War Demons qui a cartonné en scantrad, eh bien les ventes françaises sont loin d’être mirobolantes. Les gens l’ont lue en ligne et cela n’a pas vraiment fait la publicité de l’oeuvre.
– Bruno Pham, responsable éditorial chez Akata
Si le marché du manga papier résiste plutôt bien, c’est en revanche le développement de l’offre numérique légale qui pâtit le plus du scantrad. Un manque à gagner qui dissuade les éditeurs de prendre des risques sur de jeunes auteurs.
Des Parades Encore Timides
Pour endiguer le phénomène, les éditeurs multiplient les initiatives, encore modestes. Certains proposent du “simultrad”, des traductions légales quasi simultanées avec le Japon. D’autres misent sur de belles éditions collector. Mais difficile de rivaliser avec l’immédiateté et la gratuité du scantrad…
Beaucoup réclament une plateforme unifiée de lecture par abonnement, un “Netflix du manga”. Mais les ayants droit japonais freinent des quatre fers, craignant de dévaloriser leurs oeuvres. Un statu quo dommageable pour toute la filière.
Malgré ces défis, le manga a encore de beaux jours devant lui en France. La passion et l’attachement des lecteurs au format papier jouent en sa faveur. Aux éditeurs de trouver le bon équilibre entre soutien à la création et accessibilité pour que l’avenir du 9e art japonais ne soit pas que numérique.