Et si les médicaments qui peuplent nos armoires à pharmacie changeaient de mains sans qu’on s’en rende vraiment compte ? C’est la question qui taraude les esprits alors qu’un géant pharmaceutique français fait une nouvelle fois les gros titres. Après avoir cédé son emblématique Doliprane il y a quelques mois, voilà que l’entreprise annonce se séparer de son usine dédiée à l’aspirine Aspegic. Un mouvement qui ne passe pas inaperçu et qui soulève des interrogations sur l’avenir de la production médicamenteuse dans l’Hexagone.
Un Nouveau Chapitre pour Sanofi : L’Adieu à l’Aspegic
Cinq mois seulement après la tempête provoquée par la vente de sa marque phare de paracétamol à un fonds américain, le mastodonte pharmaceutique français poursuit son grand ménage. Cette fois, c’est l’usine d’Amilly, située en plein cœur de la France, qui est sur le point de changer de propriétaire. Spécialisée dans la fabrication de l’Aspegic – cette aspirine bien connue des Français – et d’autres dérivés comme le Kardegic, cette usine ne cadre plus avec la vision actuelle du groupe.
Pour comprendre cette décision, il faut se pencher sur la stratégie globale de l’entreprise. Depuis plusieurs années, elle mise gros sur l’innovation : vaccins révolutionnaires, traitements pour les maladies rares ou encore avancées en immunologie. Les médicaments dits « matures », comme l’Aspegic, semblent relégués au second plan, voire carrément mis à la porte.
Une Usine Historique en Jeu
Construite en 1961, l’usine d’Amilly n’est pas un simple site industriel. Elle incarne un morceau d’histoire, un lieu où des générations ont travaillé pour produire des remèdes accessibles à tous. Aujourd’hui, elle emploie encore 276 personnes, des salariés qui assistent, mi-inquiets mi-résignés, à cette nouvelle étape. Car si la direction promet qu’il n’y aura « aucun impact sur l’emploi », les doutes persistent.
« On nous parle de nouveaux volumes, mais on n’a rien de concret sous les yeux. Ni engagements, ni chiffres clairs. »
– Un syndicaliste proche du dossier
Depuis le 5 mars, des mouvements de grève agitent le site. Les salariés, soutenus par des piquets devant l’usine, réclament des garanties solides. Ils savent que cette cession s’inscrit dans un mouvement plus large, amorcé avec la vente partielle d’Opella – l’entité qui gère les médicaments sans ordonnance – à un fonds étranger. Une opération qui avait déjà fait grincer des dents.
Qui Reprend le Flambeau ?
Pour cette nouvelle transaction, deux acteurs entrent en scène. D’un côté, une entreprise française spécialisée dans la commercialisation de médicaments prendra en charge trois marques emblématiques : l’Aspegic, le Kardegic et une déclinaison italienne de ce dernier. De l’autre, un sous-traitant européen, déjà propriétaire de deux sites en France depuis fin 2024, récupérera l’usine elle-même. Prévue pour l’automne, cette opération promet, selon les dirigeants, de dynamiser le site avec de nouvelles activités.
Mais les promesses suffisent-elles ? Les représentants des salariés pointent du doigt l’absence de détails. Quels investissements ? Quels volumes de production ? Pour l’instant, le flou domine, et les souvenirs d’une précédente cession – celle des activités logistiques à un grand groupe de distribution l’an dernier – ravivent les craintes.
Un Enjeu de Santé Publique
Ce qui rend cette affaire particulièrement sensible, c’est le rôle clé de l’usine dans la production de traitements essentiels. Le Kardegic, par exemple, est un médicament vital pour prévenir les maladies cardiovasculaires. Avec 27 millions de boîtes écoulées en 2023, il s’impose comme un pilier de la pharmacie française. Et selon certains observateurs, Amilly serait le seul site en Europe capable de synthétiser son principe actif. Une exclusivité qui fait de cette usine bien plus qu’un simple outil industriel.
Pourtant, cette spécificité n’a pas suffi à la maintenir dans le giron du géant pharmaceutique. Une décision qui interpelle, surtout après les garanties données par l’État lors de la cession d’Opella en octobre 2024. À l’époque, un accord tripartite avait été vanté pour sécuriser emplois et production. Aujourd’hui, certains estiment que ces engagements sonnent creux.
Une Réaction Politique en Demi-Teinte
Si la vente du Doliprane avait déclenché une vague d’émotion nationale – après tout, c’est le médicament le plus prescrit en France –, celle de l’Aspegic passe presque sous les radars. Le ministre de l’Économie s’est contenté d’une réponse prudente devant les parlementaires, assurant que le gouvernement surveillait la situation de près. Mais pour certains élus locaux, cette discrétion frôle l’indifférence.
Un député de la région a pris la parole pour alerter sur les risques. Il a rappelé l’importance stratégique du site et s’est inquiété de voir cette usine passer sous le contrôle d’une holding étrangère. Une crainte partagée par beaucoup : et si les nouveaux propriétaires n’avaient pas les moyens de pérenniser la production ?
Sanofi : Une Stratégie à Double Tranchant
À première vue, la logique du groupe est limpide. En se débarrassant de ses produits sans ordonnance, il libère des ressources pour se concentrer sur des secteurs porteurs. Immunologie, neurologie, vaccins : autant de domaines où l’innovation peut rapporter gros. Mais cette mue a un coût, et pas seulement financier.
- Perte de contrôle : En cédant ses médicaments matures, le groupe s’expose au risque que ces produits disparaissent si les repreneurs échouent.
- Image écornée : Vendre des marques emblématiques peut fragiliser la confiance des Français envers une entreprise perçue comme un fleuron national.
- Dépendance accrue : À force d’externaliser, la France pourrait perdre sa souveraineté sur des traitements essentiels.
Pour les syndicats, le problème est clair : ces cessions successives fragilisent un écosystème déjà sous pression. « Que se passera-t-il si les nouveaux acteurs n’ont pas les reins assez solides ? » s’interroge une voix autorisée. Une question qui reste, pour l’heure, sans réponse.
Et Après ? Les Leçons d’un Tournant
Ce nouvel épisode dans la saga du groupe pharmaceutique n’est pas qu’une affaire d’usine ou de stratégie d’entreprise. Il touche à des enjeux bien plus larges : la santé publique, la souveraineté industrielle, l’emploi local. Si les volumes de l’Aspegic ou du Kardegic ne rivalisent pas avec ceux du Doliprane, leur rôle dans le quotidien des patients n’est pas moins crucial.
Alors, que retenir de tout cela ? Peut-être que derrière les chiffres et les annonces se joue une bataille silencieuse pour l’avenir de notre pharmacie. Une bataille où chaque cession, chaque usine vendue, redessine un peu plus les contours d’un secteur vital. Reste à savoir si ce redessin profitera à tous, ou seulement à quelques-uns.
À retenir : Une usine historique cédée, des emplois en suspens, une stratégie qui divise. L’histoire ne fait que commencer.