Imaginez un adolescent de 13 ans, face à un adversaire bien plus âgé, posant calmement des mots comme « dram » ou « turm » sur un plateau de Scrabble. Ces termes, oubliés par beaucoup, résonnent pourtant comme des armes secrètes au Pakistan, un pays où ce jeu de lettres, hérité de l’époque coloniale britannique, est devenu une véritable passion nationale. Loin des clichés habituels, cette nation de 240 millions d’habitants se distingue aujourd’hui par ses jeunes prodiges, qui collectionnent les titres mondiaux et redéfinissent l’art du Scrabble avec un anglais teinté d’histoire.
Un Héritage Colonial Transformé en Victoire
Le Scrabble n’est pas qu’un simple passe-temps au Pakistan : c’est une tradition ancrée dans un passé complexe. Introduit sous le joug colonial britannique dans les années 1930, ce jeu inventé par un architecte américain sans emploi a survécu à l’indépendance de 1947. Alors que le pays se libérait de l’occupation, il conservait cet héritage inattendu, le transformant en une fierté locale.
Dès 2006, avec le lancement des compétitions internationales pour jeunes, le Pakistan s’est imposé comme une puissance incontestée. Aujourd’hui, il détient le record du plus grand nombre de champions dans cette catégorie, un exploit qui ne doit rien au hasard. Derrière chaque victoire, il y a une détermination farouche et un travail acharné.
« Il faut travailler dur et rester déterminé pour réussir. »
– Un jeune champion pakistanais de 13 ans
Karachi : Le Berceau des Prodiges
Si le Pakistan brille sur la scène mondiale, c’est à Karachi, la bouillonnante mégalopole du sud, que tout commence. Longtemps associée à des troubles, cette ville de plus de 20 millions d’habitants s’est réinventée en véritable pépinière de talents. Ici, le Scrabble n’est pas réservé aux élites : il s’apprend à l’école, soutenu par des bourses et encouragé par des parents ambitieux.
Dans les salles de classe ou les hôtels transformés en arènes de compétition, des dizaines de joueurs s’affrontent, armés de pendules d’échecs pour chronométrer leurs coups. Les mots fusent : daunters (intimider), imarets (refuges pour pèlerins) ou encore trienes (composés chimiques). Un vocabulaire qui surprendrait même les anglophones les plus érudits.
- Des formations intégrées dès le plus jeune âge dans les écoles.
- Un soutien parental qui pousse à l’excellence.
- Des compétitions locales qui révèlent les futurs champions.
L’Anglais du Pakistan : Un Voyage dans le Temps
L’anglais parlé au Pakistan n’est pas celui de Londres ou de New York. Il porte les marques d’un héritage colonial imposé dès 1835, lorsque les Britanniques en firent la langue officielle de l’éducation dans les Indes. Cet anglais, souvent littéraire et désuet, est aujourd’hui une force pour les joueurs de Scrabble pakistanais.
Des termes comme turm (unité de cavalerie) ou taupie (jeune turbulent) évoquent un passé révolu, mais ils rapportent des points précieux. Cette particularité linguistique, mêlée de 70 langues locales comme l’ourdou, donne aux compétiteurs un avantage unique sur leurs adversaires internationaux.
« L’adoption de l’anglais est clairement liée à l’époque coloniale. »
– Un responsable de la fédération pakistanaise de Scrabble
Une Passion Qui Ouvre des Portes
Dans un pays où plus de 26 millions d’enfants ne vont pas à l’école, le Scrabble est bien plus qu’un jeu : c’est une opportunité. Pour beaucoup, maîtriser cet anglais sophistiqué signifie décrocher une bourse universitaire ou un emploi stable, un rêve inaccessible pour une large partie de la population.
Les jeunes champions, souvent issus de milieux modestes, voient dans chaque partie une chance de changer leur avenir. Une adolescente de 14 ans, sacrée championne féminine, confie : « La persévérance est la clé. Sans elle, le Scrabble n’est pas pour vous. »
| Âge | Titre | Impact |
| 13 ans | Champion du monde -14 ans | Bourse scolaire |
| 16 ans | Champion jeunesse 2024 | Reconnaissance mondiale |
Les Défis d’une Passion en Plein Essor
Si le Scrabble séduit de plus en plus d’enfants, les ressources manquent cruellement. « La demande est énorme, mais nous n’avons pas assez de moyens pour tous les accueillir », déplore un responsable local. Les entraîneurs, bien que passionnés, peinent à suivre le rythme.
Pourtant, certains professionnels, payés jusqu’à sept fois le salaire minimum, encadrent des milliers d’élèves à Karachi. Leur mission ? Transformer des combinaisons de lettres en tremplins pour l’avenir, dans un pays où l’éducation reste un luxe.
Un Art de Vivre et de S’exprimer
Au-delà des points et des podiums, le Scrabble reflète une manière unique de s’exprimer. « Les Pakistanais aiment embellir leurs phrases, utiliser plus de mots pour partager leurs émotions », explique un coach expérimenté. Cet amour des mots se retrouve jusque dans les discours officiels, où l’on parle encore de « couards » ou de « scélérats ».
Pour les joueurs, chaque victoire est une célébration. Après un match intense, un jeune champion décrit son bonheur comme « indescriptible », un mot qui, ironiquement, ne lui rapporterait aucun point au Scrabble !
Le saviez-vous ? Le Pakistan utilise un anglais si riche qu’il déroute même les locuteurs natifs, un atout inattendu sur le plateau de jeu.
L’Avenir du Scrabble Pakistanais
Le phénomène ne montre aucun signe de ralentissement. Avec des écoles qui intègrent le Scrabble dans leurs programmes et des familles qui y voient un investissement, le Pakistan pourrait bien rester au sommet pour les années à venir. Mais pour cela, il faudra plus de soutien, plus de plateaux, et plus de pendules.
En attendant, ces jeunes prodiges continuent de surprendre le monde, un mot rare à la fois. Leur histoire est celle d’un pays qui transforme un héritage colonial en une source de fierté moderne, lettre par lettre.
