Imaginez un mois où la spiritualité se mêle à l’incertitude, où les rires des retrouvailles s’éteignent sous le poids des combats. Dans l’est de la République démocratique du Congo, à Bukavu, le Ramadan de cette année ne ressemble à aucun autre. Conquise mi-février par un groupe armé connu sous le nom de M23, cette ville d’un million d’habitants vit un mois sacré marqué par la peur et la sobriété.
Un Ramadan Sous le Signe de la Guerre
Dans cette cité vibrante du Sud-Kivu, les musulmans forment une communauté significative, représentant environ 15 000 familles, soit près de 5 % de la population provinciale. Mais cette année, leur quotidien est bouleversé. D’après une source proche de la communauté islamique locale, c’est la première fois que le Ramadan se déroule dans un tel climat de détresse.
Des Prières Écourtées par l’Insécurité
À la mosquée, l’ambiance est pesante. Les fidèles oscillent entre la joie de célébrer leur foi et la douleur de la situation. Les prières de midi et de l’après-midi se tiennent encore, mais dès que le soleil se couche, tout change. L’insécurité nocturne pousse les responsables religieux à demander aux croyants de rester chez eux pour les Tarawih, ces prières spéciales du Ramadan habituellement partagées en communauté.
La guerre a tout chamboulé, nos moments de recueillement ne sont plus les mêmes.
– Un imam local
Ce bouleversement n’est pas anodin. Dans une ville où la nuit devient synonyme de danger, les mosquées, habituellement des lieux de rassemblement, se vident après le crépuscule. Les fidèles prient désormais dans l’intimité de leur foyer, loin de l’effervescence collective qui caractérise ce mois.
L’Iftar : Un Repas Plus Solitaire
Le moment de la rupture du jeûne, l’iftar, perd lui aussi son éclat habituel. Traditionnellement, ce repas pris après le coucher du soleil réunit familles et amis autour de tables généreuses. Mais à Bukavu, l’insécurité limite les déplacements. Se promener en ville à cette heure est devenu un défi, et les grandes tablées festives cèdent la place à des repas en petit comité.
Un responsable communautaire confie que, chez lui, l’iftar se limite désormais à sa famille proche. Ailleurs, certains fidèles partagent un repas simple avec ceux qui vivent à proximité, mais l’esprit de communion s’effrite sous la menace constante.
Une Économie Paralysée, des Tables Dégarnies
La prise de la ville par le M23 a eu un effet domino dévastateur. Les banques sont fermées, privant les habitants d’accès à leurs économies. Sans argent liquide, se procurer de la nourriture devient une épreuve. Certains avaient anticipé en stockant des provisions avant les combats, mais pour beaucoup, les réserves s’épuisent.
- Les chanceux : ceux qui ont pu faire des réserves avant la crise.
- Les démunis : ceux qui luttent pour trouver de quoi manger chaque jour.
Pour ces derniers, le Ramadan rime avec privation, bien au-delà du jeûne spirituel. Les repas, déjà modestes, se réduisent parfois à l’essentiel, loin des plats riches et variés qui accompagnent habituellement cette période.
Une Communauté Résiliente Malgré Tout
Face à ces défis, la communauté musulmane de Bukavu fait preuve d’une résilience remarquable. Les prières continuent, même à domicile, et les familles s’adaptent comme elles peuvent. Cette capacité à persévérer dans l’adversité témoigne d’une foi profonde, mais aussi d’une solidarité qui refuse de plier totalement.
Chiffre clé : Environ 15 000 familles musulmanes vivent à Bukavu, soit une minorité significative dans une ville d’un million d’habitants.
Cette force intérieure ne masque toutefois pas les difficultés. Entre la peur des combats et les contraintes matérielles, le mois sacré prend une tournure inédite, laissant les fidèles dans une attente incertaine de jours meilleurs.
Un Contexte Régional Explosif
Bukavu n’est pas un cas isolé. L’est de la RDC est depuis longtemps le théâtre de conflits impliquant divers groupes armés. La prise de la ville par le M23 s’inscrit dans une lutte plus large pour le contrôle des ressources et des territoires. Ce chaos régional pèse lourdement sur les habitants, musulmans ou non, qui aspirent à une paix durable.
Pour les croyants de Bukavu, ce Ramadan devient un symbole ambivalent : un temps de recueillement, mais aussi un miroir des tensions qui déchirent leur région. La guerre ne leur vole pas seulement leur sécurité, elle altère jusqu’à leurs traditions les plus sacrées.
Vers un Avenir Incertain
Alors que le mois sacré se poursuit, une question demeure : combien de temps cette situation perdurera-t-elle ? Les habitants de Bukavu, qu’ils jeûnent ou non, partagent un même espoir : retrouver la sérénité. En attendant, ils vivent un Ramadan qui restera gravé dans les mémoires comme celui de la résilience face à l’épreuve.
Aspect | Avant la guerre | Pendant la guerre |
Prières | En mosquée, en groupe | À domicile, solitaires |
Iftar | Festif, partagé | Restreint, modeste |
Économie | Accès aux ressources | Banques fermées |
Ce tableau illustre à quel point la guerre a transformé le quotidien. Mais au-delà des chiffres et des faits, c’est l’histoire d’une communauté qui, malgré les obstacles, refuse de perdre espoir.