Dans un développement qui soulève des questions sur l’état de la justice et de la démocratie en Turquie, le dirigeant de la principale organisation patronale du pays, Orhan Turan, a été interpellé et inculpé pour avoir émis des critiques envers le système judiciaire. Une action qui fait suite à un discours dans lequel il avait dénoncé certaines pratiques et plaidé pour le respect de l’État de droit.
Le « crime » : critiquer la justice et appeler au dialogue
Selon des sources proches du dossier, M. Turan est accusé de « diffusion de fausses nouvelles » et de « tentative d’influencer » la justice, en lien avec un discours prononcé le 13 février devant son organisation. Des propos dans lesquels il pointait du doigt le « manque de confiance en la justice » comme étant à l’origine de nombreux problèmes du pays.
Parmi les points soulevés figuraient notamment les destitutions controversées de maires d’opposition, en particulier prokurdes, ainsi que la nécessité de respecter l’État de droit. M. Turan avait aussi évoqué le dialogue récemment initié avec Abdullah Öcalan, leader historique du mouvement kurde armé, estimant que son succès était lié à des avancées démocratiques.
Le pouvoir met en garde les milieux d’affaires
Réagissant à cette interpellation, le président Recep Tayyip Erdogan a adressé une sévère mise en garde à l’organisation patronale Tüsiad que dirige M. Turan. Lors d’un discours musclé, il a martelé que « ceux qui croient sincèrement à l’État de droit doivent être du côté de la loi, pas avec ceux qui soutiennent le terrorisme », accusation régulièrement utilisée pour disqualifier les voix critiques.
Le chef de l’État a aussi sommé l’organisation de rester dans son rôle de représentation des milieux d’affaires, lui intimant de ne pas « provoquer la nation ni les institutions », ni « attaquer le système judiciaire ». « Si vous êtes passionnés de politique, créez un parti ou rejoignez l’opposition », a-t-il encore lancé, traçant une ligne rouge à ne pas franchir.
Procès en vue pour Orhan Turan
Orhan Turan et un de ses cadres, Ömer Aras, ont été emmenés par la police pour comparaître devant un tribunal d’Istanbul, où leur procès devrait bientôt s’ouvrir sur la base des lourdes accusations portées contre eux. Des poursuites qui font craindre un nouveau tour de vis contre la liberté d’expression, dans un contexte de tensions économiques et politiques.
L’état de droit et de la démocratie en question
Cette affaire illustre les difficultés rencontrées par la société civile turque pour faire entendre une voix dissonante et réclamer plus de démocratie, sans risquer des poursuites. L’État de droit et l’indépendance de la justice apparaissent fragilisés, alors que le pays traverse une période économiquement délicate.
Le succès du processus [de dialogue avec les Kurdes] est lié à l’amélioration de l’État de droit et de la vie démocratique (…) L’un ne va pas sans l’autre.
Orhan Turan, dans le discours à l’origine des poursuites
Les enjeux démocratiques soulevés dépassent largement le cas individuel de M. Turan. C’est la capacité de la Turquie à faire vivre un débat pluraliste et contradictoire, indispensable au bon fonctionnement de l’État de droit, qui se trouve questionnée. Un défi de taille pour ce pays à la croisée des chemins entre Europe et Moyen-Orient, tiraillé entre aspirations démocratiques et tentation autoritaire.
Un procès sous haute surveillance
Le procès à venir d’Orhan Turan et de son collaborateur sera donc suivi avec une grande attention, en Turquie comme à l’international. Au-delà de leur cas personnel, c’est la direction que prendra le pays qui se jouera en partie dans ce tribunal. Beaucoup espèrent un signe d’apaisement et d’ouverture, nécessaire pour rétablir la confiance dans les institutions et apaiser les tensions.
Mais le pouvoir semble pour l’instant déterminé à garder la main face à toute velléité de contestation, quitte à durcir le ton. Dans ce bras de fer, l’avenir de la démocratie turque est plus que jamais en jeu. Les prochains mois s’annoncent déterminants pour savoir quel visage présentera la Turquie de demain, entre ouverture et fermeté. Un pays dont l’évolution sera scrutée bien au-delà de ses frontières.