ActualitésInternational

Enquête élargie aux crimes contre l’humanité dans l’affaire des journalistes tués à Homs en 2012

Treize ans après le décès tragique des reporters Marie Colvin et Rémi Ochlik à Homs, les investigations pour crimes de guerre franchissent un cap décisif. Pour la première fois, l'enquête est élargie aux crimes contre l'humanité, pavant la voie à une meilleure protection des journalistes en zones de guerre. Un tournant historique pour la justice...

Treize ans après la mort tragique de la reporter américaine Marie Colvin et du photographe français Rémi Ochlik lors d’un bombardement à Homs en Syrie, les investigations pour crimes de guerre connaissent une accélération notable. Une étape cruciale vient en effet d’être franchie avec la décision du pôle crimes contre l’humanité du parquet national antiterroriste (Pnat) d’étendre l’information judiciaire en cours à de nouveaux faits qualifiés de crimes contre l’humanité.

Selon des sources proches du dossier, le Pnat a requis la juge d’instruction d’enquêter désormais sur l’exécution d’un plan concerté visant spécifiquement les journalistes, défenseurs des droits humains et activistes dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique. Sont notamment visés l’atteinte volontaire à la vie ayant entraîné les décès de Marie Colvin et Rémi Ochlik, mais aussi la persécution d’un groupe incluant d’autres reporters comme le Britannique Paul Conroy, la Française Edith Bouvier et le traducteur syrien Wael Omar.

Une avancée « extrêmement novatrice » pour les avocats des victimes

Pour Maître Matthieu Bagard, conseil d’Edith Bouvier, ces développements récents sont « extrêmement novateurs » et ouvrent la voie à la caractérisation de crimes contre l’humanité dans un certain nombre de procédures impliquant des journalistes en zones de conflit armé. « Il faut saluer la position du Pnat. À notre connaissance, on n’a pas de précédent en France. C’est une grande avancée pour les reporters de guerre », a souligné sa consœur Marie Dosé.

Les journalistes pourront désormais se constituer parties civiles ou même déposer plainte afin qu’une information judiciaire soit ouverte pour crimes contre l’humanité, s’est félicité Maître Emmanuel Daoud, avocat de la sœur de Marie Colvin et de RSF. La famille de la reporter attend maintenant du régime syrien qu’il coopère avec les enquêteurs internationaux pour que les auteurs de telles atrocités répondent de leurs actes.

Journalistes occidentaux pris pour cible à Bab Amr

Le 21 février 2012, plusieurs journalistes occidentaux tout juste arrivés dans le quartier de Bab Amr à Homs, bastion de la rébellion assiégé par les troupes de Bachar al-Assad, s’étaient retranchés dans un immeuble servant de centre de presse improvisé. Au petit matin, réveillés par des détonations, ils avaient rapidement compris que leur bâtiment était directement visé par les forces du régime.

Marie Colvin et Rémi Ochlik, âgés respectivement de 56 et 28 ans, ont été tués sur le coup par un obus de mortier alors qu’ils sortaient de l’immeuble ciblé. À l’intérieur, les autres occupants ont été violemment projetés par le souffle de l’explosion. Edith Bouvier, 31 ans, a été grièvement blessée à la jambe.

Des journalistes délibérément ciblés selon les enquêteurs

Très vite, les premières investigations ouvertes à Paris pour les victimes françaises ont pointé vers des faits de crimes de guerre. Dès 2016, des victimes étrangères ou leurs proches se sont aussi constitués parties civiles. Pour Edith Bouvier, il ne faisait aucun doute que les journalistes avaient été délibérément ciblés en tant que « témoins des violences militaires du régime » pour dissuader d’autres reporters de venir couvrir la situation.

Des enquêteurs de l’Office central pour la répression des violences aux personnes sont parvenus à la même conclusion en 2019. D’après leur rapport, le bâtiment où se trouvaient les journalistes constituait clairement « la cible du régime de Bachar al-Assad ». Un ancien officier des forces gouvernementales syriennes a lui aussi déclaré sous couvert d’anonymat que « l’objectif principal du régime était de frapper les journalistes car c’était eux qui témoignaient de la réalité ».

Un tournant majeur pour la protection des journalistes en zones de guerre

L’élargissement de l’enquête aux crimes contre l’humanité marque donc un tournant majeur, ouvrant de nouvelles perspectives pour la protection des reporters couvrant les conflits armés. Il s’agit d’une première en France, qui pourrait faire jurisprudence et renforcer le cadre juridique international en la matière.

Les avocats des différentes parties civiles attendent désormais que des mandats d’arrêt soient délivrés contre les plus hauts responsables politiques et militaires syriens dont l’implication a pu être établie. Mais ils espèrent surtout que cette avancée judiciaire historique encouragera la communauté internationale à se mobiliser davantage pour garantir la sécurité des journalistes dans les zones de combat, conformément au droit humanitaire.

Car comme le soulignent les proches des victimes, seule une réelle volonté politique au plus haut niveau permettra de mettre fin à l’impunité dont bénéficient trop souvent les auteurs de crimes contre les professionnels des médias. Et d’honorer ainsi la mémoire de tous ces reporters qui, comme Marie Colvin et Rémi Ochlik, ont payé de leur vie leur engagement à témoigner de l’indicible au cœur des conflits.

Passionné et dévoué, j'explore sans cesse les nouvelles frontières de l'information et de la technologie. Pour explorer les options de sponsoring, contactez-nous.