Imaginez un beau matin dans une déchetterie quelconque en France. Les camions arrivent, déversant leur cargaison habituelle de déchets ménagers et industriels. Mais parmi ces détritus se cachent de véritables bombes à retardement : des bouteilles de protoxyde d’azote, communément appelé « gaz hilarant ». De plus en plus volumineuses, elles sont devenues le cauchemar des centres de tri et d’incinération à travers le pays.
Une menace grandissante
Selon Hervé Carron, directeur du Centre de valorisation énergétique (CVE) de Halluin dans le Nord, le problème s’est nettement aggravé ces dernières années :
Depuis 2024, les bouteilles que l’on retrouve ont une taille deux fois plus importante que les modèles précédents. Elles génèrent encore plus d’incidents sur l’installation.
Si les petites cartouches de quelques centimètres passent inaperçues, ce sont surtout les bonbonnes industrielles qui posent problème. Mesurant environ 50 cm de haut pour 7 à 8 cm de diamètre, elles contiennent toujours des résidus de gaz. Et lorsqu’elles se retrouvent dans les fours à 1200°C, c’est la catastrophe assurée.
45 explosions par jour en moyenne
Faute de tri préalable dans certains centres, les bouteilles finissent incinérées avec le reste des déchets. Sous l’effet de la chaleur intense, elles explosent à un rythme effréné, endommageant sérieusement les installations :
Quand les barreaux sont cassés, nous sommes obligés d’arrêter l’installation ; et quand on arrête l’installation, on part alors sur trois jours l’intervention.
– Hervé Carron, directeur du CVE de Halluin
En 2024, les fours du CVE ont dû être stoppés l’équivalent de deux mois complets à cause de ces incidents à répétition. Un véritable cauchemar logistique et financier.
Des risques pour le personnel
Au-delà des dégâts matériels, c’est aussi la sécurité des employés qui est en jeu. Dans une usine française, la déflagration d’une bouteille a même soufflé une porte. Résultat, les opérateurs n’ont plus le droit d’ouvrir les lucarnes pour vérifier la combustion, de peur qu’une explosion ne projette des débris brûlants.
Un fléau national qui coûte des millions
Le phénomène touche toutes les installations du pays, comme à Saint-Saulve dans le Nord, où les dommages se chiffrent déjà en millions d’euros :
En 2024, nous avons arrêté 550 heures. C’est un coût que l’on peut estimer à un million d’euros de pertes d’exploitation sur les trois dernières années.
– Ingrid Lepron, responsable du CVE de Saint-Saulve
À l’échelle nationale, la facture s’élèverait entre 15 et 20 millions d’euros selon les estimations. Un gouffre financier pour une profession déjà sous pression.
Des centres de tri également touchés
Les incinérateurs ne sont pas les seuls à trinquer. Les centres de tri, chargés de recycler les emballages ménagers, croulent aussi sous les bouteilles de protoxyde d’azote. Dans la métropole lilloise, les quantités ont été multipliées par 15 en à peine 5 ans, favorisées par la proximité des Pays-Bas, principaux producteurs européens de « gaz hilarant ».
Là encore, les risques sont élevés. Lorsque les déchets en aluminium sont compactés, des étincelles peuvent embraser le gaz résiduel, provoquant de violents incendies. Un danger permanent pour les équipes et les équipements.
Quelles solutions ?
Face à ce fléau, les professionnels du déchet se sentent démunis. L’interdiction de la vente aux particuliers, entrée en vigueur en 2023, n’a pas enrayé le phénomène. La plupart des consommateurs se fournissent désormais sur Internet, échappant ainsi aux contrôles.
Parmi les pistes évoquées, l’instauration d’une consigne sur les bouteilles pourrait inciter à un retour plus systématique. La sensibilisation du public au bon geste de tri, en rapportant ces déchets dangereux en déchetterie, fait aussi partie des solutions avancées par la profession.
En attendant, les centres de traitement des déchets restent sur le qui-vive, craignant à chaque instant le coup de tonnerre d’une nouvelle explosion. Un combat de longue haleine contre un ennemi aussi volatile que dévastateur.