Alors que le conflit en Ukraine entre dans sa troisième année, un coup de théâtre diplomatique vient de se produire. Le président américain Donald Trump a échangé directement avec Vladimir Poutine, convenant d’entamer des négociations de paix sans y associer l’Ukraine ni les Européens. Une initiative qui bouscule les équilibres au sein de l’Alliance atlantique et soulève des interrogations sur la place de l’Union européenne dans la résolution de ce conflit.
Trump joue cavalier seul sur l’échiquier ukrainien
En s’entretenant en tête-à-tête avec le maître du Kremlin, Donald Trump a pris de court les alliés de Kiev. Aucun pays européen n’avait été informé de cet appel, une première depuis le début de l’invasion russe en février 2022. Plusieurs chancelleries se sont dites offusquées par cette initiative en solo de la Maison Blanche.
Le secrétaire américain à la Défense Pete Hegseth a eu beau marteler qu’il n’y avait pas de « trahison », le mal était fait. En agissant de la sorte, les États-Unis ont ouvertement brisé le front uni qui prévalait depuis près de trois ans parmi les soutiens de l’Ukraine.
Washington veut-il écarter les Européens ?
Pour Élie Tenenbaum, directeur du Centre des études de sécurité de l’Institut français des relations internationales (Ifri), la question est de savoir quelle sera la capacité de l’Ukraine et des Européens à peser dans des négociations entre la Russie, un belligérant, et les États-Unis, qui ne sont finalement qu’un soutien.
Certains pays européens, comme l’Estonie, ont déjà fait part de leur scepticisme, comparant la situation actuelle aux accords de Munich de 1938 qui avaient conduit au démembrement de la Tchécoslovaquie. Les lignes rouges posées par Donald Trump, excluant une adhésion de Kiev à l’OTAN et un retour aux frontières d’avant 2014, ne sont pas pour les rassurer.
L’unité de l’OTAN à l’épreuve
Au-delà de l’Ukraine, c’est l’avenir même de l’Alliance atlantique qui semble en jeu. Pour Sébastien Lecornu, le ministre français de la Défense, les déclarations de Donald Trump constituent « un grand moment de vérité ». Si l’OTAN est souvent présentée comme l’alliance militaire la plus solide de l’Histoire, la question est de savoir si cela sera toujours le cas dans 10 ou 15 ans.
D’après Élie Tenenbaum, la capacité des Américains à négocier un accord de paix en préservant les intérêts essentiels des Ukrainiens sera perçue comme un test décisif de leur fiabilité au sein de l’OTAN. Une Alliance au sein de laquelle Washington est pour l’heure incontournable, assurant à lui seul plus de 65% des dépenses militaires totales.
Les Européens peuvent-ils prendre le relais ?
Face aux critiques de Donald Trump sur l’insuffisance des efforts de défense des alliés, la question de la montée en puissance des Européens se pose avec acuité. Seuls 22 pays de l’UE ont atteint l’objectif de 2% du PIB consacré aux dépenses militaires en 2024, avec de fortes disparités entre l’Est et l’Ouest du continent.
« Les Européens n’ont pas confiance en eux, dans leur capacité à mener une action décisive sans les Américains. Ils n’osent pas assumer entièrement la défense de leurs propres intérêts. C’est le test qui va se présenter à Munich ce week-end et dans les mois à venir. »
– Élie Tenenbaum, Institut français des relations internationales
Pour le chercheur, même si le budget de défense européen avoisine les 450 milliards d’euros, le véritable défi est d’ordre psychologique. Il appelle les Européens à avoir davantage confiance en eux et en leurs moyens pour peser face à la Russie, sans dépendre systématiquement du parapluie américain.
Une prise de conscience semble s’opérer, comme en témoignent les propos des ministres allemand et français jugeant que consacrer 2% du PIB à la défense n’est plus suffisant. Mais il faudra plus que des déclarations pour combler le différentiel capacitaire avec les États-Unis et s’affirmer comme un acteur géopolitique de premier plan. L’autonomie stratégique européenne, souvent invoquée, reste encore largement à construire.