Le leader du MoDem François Bayrou a remis sur le devant de la scène un sujet hautement sensible : le droit du sol. Lors d’une interview accordée à une chaîne d’information, l’ancien ministre a estimé qu’il était temps de se pencher sérieusement sur la question de savoir « ce qui fait qu’on est Français », relançant ainsi un débat qui divise profondément la classe politique et l’opinion.
Le droit du sol, un principe qui ne fait plus consensus
Actuellement, le droit du sol permet à un enfant né en France de parents étrangers d’acquérir automatiquement la nationalité française à sa majorité, sous certaines conditions de résidence. Un principe hérité du code de la nationalité, mais qui ne fait plus l’unanimité selon François Bayrou.
« Il faut ouvrir ce débat de manière apaisée et réfléchie. Être Français, cela ne peut pas se résumer à un simple lieu de naissance. Cela implique une adhésion à des valeurs, à une culture, à un projet commun », a-t-il déclaré, souhaitant une réforme en profondeur du droit de la nationalité.
Un sujet clivant qui enflamme le débat politique
Sans surprise, cette sortie a fait vivement réagir dans le champ politique. À droite, certains se sont empressés de saluer une « prise de conscience » et une « courage » de la part du centriste. Marine Le Pen a estimé que François Bayrou rejoignait « le bon sens » en remettant en cause un droit du sol jugé trop permissif.
À gauche en revanche, on crie au « dérapage » et à la « surenchère ». Pour le député LFI Alexis Corbière, « s’attaquer au droit du sol, c’est fragiliser notre pacte républicain ». Le PS, par la voix d’Olivier Faure, a rappelé son attachement à ce « principe fondateur » permettant l’intégration des populations issues de l’immigration.
Le droit du sol est un pilier de notre République. Il ne saurait être remis en cause au gré des humeurs politiques.
Olivier Faure, Premier secrétaire du PS
Le gouvernement temporise, mais n’écarte pas le débat
Du côté de l’exécutif, on joue la prudence sur ce dossier inflammable. Le porte-parole du gouvernement Olivier Véran a botté en touche, refusant de commenter les propos de François Bayrou « à chaud ». Mais il n’a pas exclu que le sujet puisse être mis sur la table, « de façon sereine et dépassionnée », lors d’un prochain séminaire gouvernemental consacré aux questions régaliennes.
« L’identité française et les conditions d’accès à notre nationalité sont des sujets importants sur lesquels nous devrons travailler », a-t-il ajouté, tout en réaffirmant l’attachement de la majorité présidentielle « aux valeurs d’intégration de notre République ».
Un débat récurrent, symptôme d’un malaise identitaire
En relançant la polémique sur le droit du sol, François Bayrou n’a fait que raviver un débat ancien et récurrent dans le paysage politique français. Déjà en 1993, la « Loi Méhaignerie » avait durci les conditions d’acquisition de la nationalité pour les enfants nés en France de parents étrangers, avant un rétropédalage partiel par la gauche quelques années plus tard.
Plus récemment, en 2015, un sondage avait créé la surprise en révélant qu’une courte majorité de Français se disait favorable à une remise en cause du droit du sol automatique. Signe d’un profond malaise identitaire et d’une défiance croissante envers un modèle d’intégration perçu comme défaillant.
En rouvrant ce dossier, François Bayrou prend le risque de jeter de l’huile sur le feu et d’attiser les tensions dans une société française déjà fragmentée. Mais pour le centriste, il y a urgence à « regarder les problèmes en face » et à « moderniser notre code de la nationalité ». Reste à savoir jusqu’où il est prêt à aller dans sa remise en cause du droit du sol. Et si sa majorité, déjà fragilisée, est prête à le suivre sur ce terrain glissant.
Un sujet explosif qui cristallise les passions
Une chose est sûre : en s’aventurant sur le terrain identitaire, François Bayrou joue avec le feu. Le sujet du droit du sol déchaîne les passions et les fantasmes, touchant à ce qui fait le cœur même de notre « roman national ». Certains y voient le dernier rempart contre une prétendue « submersion migratoire », quand d’autres le considèrent comme un acquis fondamental de notre pacte républicain.
Juridiquement, le droit du sol n’est pourtant pas une spécificité française. De nombreux pays, notamment en Amérique, l’appliquent de jure. C’est par exemple le cas des États-Unis, où tout enfant né sur le territoire acquiert automatiquement la citoyenneté américaine, quelles que soient les origines de ses parents.
En France cependant, le droit du sol cristallise tous les fantasmes liés aux questions d’immigration et d’intégration. Il est vu comme le symbole d’une politique « laxiste », ayant permis la constitution de « communautés » vivant en marge de la République. Une vision anxiogène, nourrie par certains discours politiques.
Le droit du sol est un formidable outil d’intégration républicaine. En s’attaquant à ce principe, on prend le risque de fracturer un peu plus la société française.
Un membre du gouvernement souhaitant rester anonyme
Un révélateur de nos angoisses collectives
Au final, le débat sur le droit du sol n’est que le symptôme d’un profond malaise identitaire français. Dans une nation qui doute d’elle-même et de sa capacité à « faire société », la tentation est grande de refermer les portes de la citoyenneté. De faire de la nationalité un bien rare et précieux, réservé aux « méritants ».
Pourtant, dans un monde en mouvement, traversé par les flux migratoires, cette vision semble dépassée. Plutôt que de fantasmer sur une improbable « identité française » menacée, ne faudrait-il pas repenser les contours de notre communauté nationale ? Faire de la France une terre d’accueil et d’opportunités, capable d’intégrer ceux qui adhèrent à son projet et à ses valeurs ?
C’est tout l’enjeu du défi identitaire français. Un défi qui ne se résoudra pas par des postures et des polémiques stériles, mais par un vrai travail de pédagogie et de dialogue. En rouvrant le débat sur le droit du sol, François Bayrou prend le risque de nous éloigner un peu plus de cet objectif. À nous de faire en sorte que ce débat puisse, malgré tout, faire avancer notre réflexion collective sur ce que signifie « être Français » au XXIe siècle.