Au fil des siècles, des femmes artistes visionnaires ont tissé une révolution dans le monde de l’art textile. Brisant les conventions et repoussant les limites, elles ont métamorphosé cette pratique ancestrale en une forme d’expression contemporaine puissante et engagée. Des métiers à tisser traditionnels aux cimaises des musées les plus prestigieux, découvrez comment ces pionnières ont réinventé tout un art !
Du folklore à l’art contemporain : l’émancipation textile
Longtemps reléguée à la sphère domestique et aux traditions, la pratique textile est restée l’apanage des femmes. Mais au XXe siècle, des artistes visionnaires ont entrepris de la libérer de ces carcans. Intégrant de nouvelles techniques et matériaux, jouant avec les codes, elles ont fait émerger un art textile novateur et subversif.
L’une des figures de proue de cette émancipation est Olga de Amaral. Cette artiste colombienne a révolutionné le tissage en y incorporant des matériaux inédits comme le crin de cheval, le lin ou les feuilles d’or. Ses œuvres monumentales et sensuelles ont fait entrer l’art textile dans les musées, bousculant les hiérarchies artistiques établies.
Anni Albers, pionnière du Bauhaus
Autre pionnière incontournable : Anni Albers. Cette artiste allemande a été l’une des rares femmes à étudier au Bauhaus dans les années 1920. En s’appropriant les technologies de son époque, elle a ouvert de nouvelles voies pour l’art textile. Exilée aux États-Unis en 1933, elle y a connu une renommée internationale, pavant la voie aux générations suivantes.
L’art textile comme acte de résistance
Dans la seconde moitié du XXe siècle, l’art textile s’est politisé, devenant un étendard des luttes féministes. Aux États-Unis, le Fiber Art émerge comme un « cri de ralliement ». Des artistes comme Faith Ringgold utilisent la courtepointe pour raconter l’histoire des Afro-Américains et de l’esclavage. En Europe de l’Est, confrontées à la censure des régimes communistes, des artistes polonaises comme Magdalena Abakanowicz transgressent les diktats du réalisme socialiste grâce à l’abstraction permise par le textile.
Le discours dominant a mis presque 20 ans à être transgressé […]. Le textile est peu à peu devenu une métaphore pour déconstruire le genre, le handicap ou toute forme de discrimination.
– Janis Jefferies, artiste et professeure
Tisser les fils de l’histoire et de l’identité
Au-delà d’un médium plastique, le textile est devenu un formidable vecteur d’histoires et d’identités. Des « quipus » andins aux tentures mémorielles africaines, en passant par les « arpilleras » des femmes chiliennes sous la dictature de Pinochet, coudre et tisser permet de réparer des mémoires meurtries, de transmettre des héritages et d’affirmer des appartenances face à l’oppression.
En Argentine par exemple, un projet initié par la commissaire d’exposition Andrei Fernandez avec des tisserandes indigènes a permis de créer des œuvres intégrant les codes de l’art contemporain. Exposé à la Biennale de Venise, ce travail est aussi « une réparation mémorielle, réintégrant des personnes disparues et une histoire meurtrie par la colonisation », explique-t-elle.
L’art textile aujourd’hui : une pratique centrale et engagée
Aujourd’hui, l’art textile a conquis sa place au sein des institutions culturelles et du marché de l’art. Des artistes comme l’Américaine Sheila Hicks ou la Sud-Africaine Billie Zangewa réinventent le genre à travers des œuvres monumentales, ludiques et engagées. Dans leurs mains, fils et aiguilles tissent des manifestes féministes, écologiques, antiracistes…
Autrefois moqué et marginalisé, l’art textile est devenu l’un des médiums les plus dynamiques et subversifs de la scène contemporaine. Loin des clichés réducteurs, il continue de se réinventer, entre savoir-faire ancestraux et innovations technologiques, portant toujours plus haut la voix des artistes qui le font vivre. Un art « central », qui raconte et répare le monde, un point après l’autre.
