C’est la petite phrase qui met le feu aux poudres. Invitée sur TF1, la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet a osé briser un tabou en proposant de taxer les retraités les plus aisés. L’objectif : renflouer une Sécurité sociale exsangue en mettant à contribution les 40% de retraités les mieux lotis.
« Le financement de la protection sociale aujourd’hui incombe trop aux entreprises et aux travailleurs », a lancé la ministre, avant de suggérer « différentes taxes et cotisations qui pourraient être envisagées sur les retraités qui peuvent se le permettre », selon leur niveau de pension. Cela pourrait concerner ceux touchant « 2000 euros, 2500 euros » et rapporter « 500, 800 millions d’euros ».
Levée de boucliers au sein même de la majorité
Une proposition qui ne passe pas, y compris dans les rangs de la macronie. Nombreux sont ceux à rappeler que les retraités ont déjà été mis à contribution ces dernières années, avec la hausse de la CSG et la sous-indexation des pensions. Beaucoup craignent aussi un effet politique dévastateur.
« On ne peut pas demander toujours aux mêmes de payer. C’est un très mauvais signal envoyé à une population qui vote beaucoup. »
Un député de la majorité sous couvert d’anonymat
Le tollé est tel que François Bayrou, le Premier ministre, a dû monter au créneau pour recadrer sa ministre, assurant que taxer les retraités n’était « pas à l’ordre du jour ». Pas sûr cependant que cela suffise à éteindre la polémique.
Les retraités, variable d’ajustement budgétaire ?
Car au-delà de la séquence politique, l’épisode relance le débat sur la place des retraités dans l’effort collectif. Avec le vieillissement de la population et l’explosion des dépenses de santé, certains n’hésitent plus à voir en eux une variable d’ajustement budgétaire.
Le raisonnement ? Les retraités profitent pleinement du système de santé et de dépendance sans contribuer autant que les actifs, par l’impôt ou les cotisations. Sans parler de leur patrimoine souvent conséquent, constitué tout au long de leur vie active.
« Il est normal que les retraités participent au financement de la protection sociale au même titre que les autres. Ils en sont les premiers bénéficiaires. »
Un expert interrogé par un grand média national
Mais taxer les pensions, même pour les plus aisés, reste politiquement brûlant. Les retraités représentent une force électorale puissante, prompte à se mobiliser pour défendre son pouvoir d’achat. Une donnée dont l’exécutif, déjà fragilisé, ne peut faire abstraction.
Régime spécial des retraités : le dernier totem
Beaucoup pointent également du doigt le caractère injuste de la mesure. Pour un même niveau de revenus, les retraités s’acquittent déjà d’un impôt sur le revenu plus élevé que les actifs, du fait d’une moindre déduction de CSG. Les assujettir à une taxe supplémentaire reviendrait à les pénaliser deux fois.
D’autant que les pensions, contrairement aux salaires, n’augmentent pas au même rythme que l’inflation. Ce qui engendre mécaniquement une perte de pouvoir d’achat année après année.
Derrière l’apparent consensus sur la nécessité de réformer le système des retraites, le débat sur la taxation des pensions révèle des failles profondes. Après les régimes spéciaux des cheminots ou des électriciens, le « régime spécial » des retraités apparaît comme l’un des derniers totems que le gouvernement hésite à bousculer. Au risque de relancer la guerre des générations.
La piste d’une « contribution de solidarité »
Face à la levée de boucliers, certains au gouvernement tentent d’arrondir les angles. Exit le terme de « taxe », des élus suggèrent d’opter pour une « contribution de solidarité » qui épargnerait les petites pensions et serait limitée dans le temps. L’idée serait de concentrer l’effort sur les retraités des déciles supérieurs, avec un barème progressif.
Un pis-aller pour ne pas abandonner complètement la piste d’une mise à contribution, sans heurter frontalement l’électorat âgé. Mais le mot reste tabou et le sujet explosif.
La tentation d’un coup politique
En lâchant cette petite phrase, la ministre du Travail savait sans doute le tollé qu’elle allait provoquer. Faut-il y voir la tentation d’un coup politique, pour un gouvernement empêtré dans une séquence délicate ?
En mettant la question de la taxation des retraités sur la table, Astrid Panosyan-Bouvet opère un virage sur l’aile sociale. De quoi séduire une partie des électeurs de gauche en montrant que la macronie n’hésite pas à s’attaquer aux « riches », fussent-ils en partie retraités. Quitte à braquer une frange de son propre électorat.
« C’est un moyen de dire : on taxe les plus riches, retraités compris, pour financer la solidarité nationale. Ça peut parler à certains. »
Un conseiller ministériel sous couvert d’anonymat
Un pari risqué tant le sujet est clivant. Mais le simple fait de l’évoquer montre que le gouvernement est prêt à bouger les lignes. Une façon aussi de préparer l’opinion à l’idée que l’effort devra être partagé.
Le spectre d’une fronde des retraités
Mais le gouvernement joue avec le feu. En ciblant les retraités, même les plus aisés, il prend le risque de réveiller une armée de mécontents, prêts à descendre dans la rue pour défendre leur statut.
On se souvient de la bronca provoquée par la hausse de la CSG décidée par Emmanuel Macron en début de quinquennat. Des dizaines de milliers de retraités avaient alors battu le pavé pour dénoncer une mesure jugée injuste et confiscatoire.
De quoi faire réfléchir l’exécutif à deux fois avant de rallumer la mèche. Car si la fronde s’étendait, elle pourrait vite devenir incontrôlable et plomber un peu plus la popularité déjà vacillante du gouvernement.
Un test pour la cohésion de la majorité
C’est aussi la cohésion de la majorité qui est en jeu. En lançant ce pavé dans la mare, Astrid Panosyan-Bouvet oblige les marcheurs à se positionner sur un sujet qui les divise.
D’un côté, les tenants d’une ligne sociale, prêts à taxer les plus aisés pour préserver notre modèle. De l’autre, les héritiers du libéralisme macroniste, viscéralement opposés à toute hausse d’impôt, surtout sur une catégorie aussi symbolique.
Au milieu, François Bayrou, condamné à louvoyer pour maintenir l’unité de sa majorité composite. Un exercice d’équilibriste périlleux qui pourrait le contraindre à trancher, ou à reculer.
Réforme des retraites : l’impossible consensus
Car au-delà de la polémique, c’est bien la question de la réforme des retraites qui se profile en toile de fond. Un dossier miné sur lequel le gouvernement peine à trouver une ligne claire.
Entre le report de l’âge légal de départ, défendu par la droite, et la mise à contribution des hauts revenus, réclamée par la gauche, l’exécutif hésite. Au risque de mécontenter tout le monde et de s’embourber dans un débat sans fin.
« C’est un sujet anxiogène, clivant, avec un fort impact sur l’opinion. Aucune mesure ne fait consensus. On avance sur un fil.»
Un proche du Premier ministre
La sortie d’Astrid Panosyan-Bouvet en est l’illustration. En tentant de lever un tabou, elle a surtout mis en lumière les profondes divergences qui traversent la macronie sur ce sujet explosif. Jusqu’à fragiliser un peu plus un exécutif en quête de ligne directrice.
Preuve s’il en fallait que réformer les retraites reste un pari à haut risque pour tout gouvernement. Y compris lorsqu’on s’attaque au portefeuille des plus aisés.