C’est un épilogue judiciaire lourd de sens dans une affaire devenue emblématique de la souffrance au travail. Ce mardi, la Cour de cassation a rejeté les derniers recours de Didier Lombard, ancien patron de France Télécom, et de Louis-Pierre Wenès, qui fut son numéro 2. Leur condamnation pour harcèlement moral est donc désormais définitive dans le dossier des suicides survenus au sein de l’entreprise à la fin des années 2000.
Un management brutal suite à la privatisation
Pour bien comprendre cette affaire hors normes, il faut remonter à 2004. France Télécom, fleuron historique du service public, vient d’être privatisée. Sa direction, menée par Didier Lombard, engage alors une restructuration massive visant à supprimer 22 000 postes et à en modifier 10 000 autres sur un total de 120 000 salariés. Mais au lieu d’une gestion sociale du changement, les méthodes employées vont s’avérer brutales et délétères.
D’après l’enquête et les témoignages recueillis lors du procès, les employés subissent une pression managériale intense, des mutations forcées, des objectifs intenables. Bref, une dégradation organisée de leurs conditions de travail dans le but de les pousser vers la sortie « par la porte ou par la fenêtre », selon une formule-choc de Didier Lombard lui-même.
Une vague de suicides révélatrice
Les conséquences de cette politique vont être dramatiques. Entre 2008 et 2009, une vague de suicides touche France Télécom. Des salariés mettent fin à leurs jours en laissant des lettres explicites sur leur mal-être au travail. Le plus marquant sera celui de Michel Deparis, technicien à Marseille, qui incrimine directement l’entreprise et ses méthodes dans son ultime message.
Sous la pression médiatique et politique, une enquête judiciaire est ouverte. Elle va mettre en lumière un phénomène de harcèlement moral institutionnalisé, une « gestion par la terreur » qui a profondément meurtri le personnel. En 2019, le procès de France Télécom et de ses ex-dirigeants s’ouvre dans un contexte très tendu.
Un jugement historique confirmé
En première instance, les juges prononcent des peines de prison ferme contre Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès, une première pour des dirigeants d’une telle envergure. France Télécom écope de l’amende maximale de 75 000 euros pour harcèlement moral, du jamais vu pour une entreprise du CAC40. Un « tournant judiciaire » saluent alors les parties civiles.
En appel en 2022, si les sanctions sont allégées avec de la prison avec sursis, le principe de la condamnation est confirmé. Avec le rejet de leurs pourvois par la Cour de cassation, Didier Lombard et Louis-Pierre Wenès sont désormais définitivement coupables dans ce dossier tragique.
Des leçons à tirer pour le monde du travail
Au-delà du cas France Télécom, cette affaire aura mis en lumière les dérives potentiellement meurtrières d’un management toxique et d’une course à la rentabilité sans garde-fous éthiques. Elle rappelle la responsabilité majeure des entreprises dans la santé et le bien-être de leurs collaborateurs.
Il est essentiel que ce procès serve à toutes les entreprises, pour qu’elles mettent un terme définitif au harcèlement et prennent soin de leurs salariés.
Une avocate des parties civiles lors du procès en appel
Si des progrès ont été faits ces dernières années avec une meilleure prise en compte des risques psychosociaux, le chemin reste long. L’affaire France Télécom restera comme un tragique rappel de l’impératif humain au cœur du travail. Un impératif qui doit primer sur toute autre considération, aussi impérieuse soit elle.