Un parfum de règlement de comptes plane sur le procès d’un ancien Premier ministre guinéen qui s’est ouvert à Conakry. Ibrahima Kassory Fofana, qui a dirigé le gouvernement de mai 2018 à septembre 2021, comparaît devant une juridiction spéciale anti-corruption mise en place par la junte militaire qui a renversé le président Alpha Condé. L’accusation a requis contre lui une peine de cinq ans de prison ferme.
L’ex-chef du gouvernement est jugé pour détournement de fonds publics, corruption et blanchiment de capitaux. Il lui est reproché des malversations portant sur l’équivalent de plus de 1,6 million d’euros destinés notamment à la gestion anti-covid et à des programmes économiques et sociaux. Le procureur a aussi demandé une amende de plus d’un demi-million d’euros et la saisie de ses avoirs.
Une justice aux ordres de la junte militaire ?
Depuis le coup d’État de septembre 2021 qui a porté les militaires au pouvoir, de nombreux anciens dignitaires du régime déchu croupissent en prison ou font l’objet d’enquêtes. La Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief), juridiction d’exception instituée par la junte, est en première ligne dans cette traque.
Outre Ibrahima Kassory Fofana, l’ex-président Alpha Condé lui-même ainsi qu’une centaine de ses proches sont dans le viseur de la justice. En décembre, un ancien ministre de la Défense a écopé de cinq ans de prison et d’une amende de 55 millions d’euros pour enrichissement illicite et détournement de fonds.
Officiellement, la lutte contre la corruption endémique est l’une des grandes priorités proclamées par la junte. Mais l’opposition dénonce une instrumentalisation de la justice à des fins de vengeance politique et de musellement.
Une répression tous azimuts
Au-delà des poursuites judiciaires, le nouveau pouvoir a engagé une vaste purge au sein de l’administration et des entreprises publiques. De nombreux responsables ont été limogés, souvent sans ménagement. Des dizaines d’autres croupissent en détention, parfois depuis plus d’un an, sans perspective de jugement.
Parallèlement, la liberté de ton qui prévalait sous l’ancien régime a laissé place à un climat de peur et d’autocensure. Des médias ont été fermés ou muselés, des manifestations interdites, des activistes arrêtés. La société civile et la presse internationale s’inquiètent d’un recul des libertés fondamentales.
La junte assure qu’il n’y aura pas de « chasse aux sorcières » et que la justice est indépendante. Mais dans les faits, seuls les opposants et les anciens caciques du pouvoir semblent inquiétés.
Vers une transition démocratique incertaine
Près de deux ans après le putsch, la Guinée est toujours dirigée par une junte intérimaire qui tarde à rendre le pouvoir aux civils. Un processus de « transition » vers un régime démocratique a été amorcé, mais avec une feuille de route confuse et un calendrier incertain.
Certains observateurs craignent que l’actuel homme fort du pays, le colonel Mamadi Doumbouya, ne soit tenté de se maintenir au pouvoir, à l’image d’autres putschistes dans la région. Des critiques l’accusent de faire le lit d’une dictature militaire sous couvert de lutte contre la corruption.
Dans ce contexte, le sort d’Ibrahima Kassory Fofana et des autres dignitaires déchus apparaît très incertain. Leur procès est vu comme un test pour mesurer l’indépendance de la justice et les véritables intentions de la junte. Verdict attendu le 13 février.