Dans un geste sans précédent à quelques heures de la passation de pouvoir, le président américain sortant Joe Biden a accordé lundi une série de grâces présidentielles préventives à des personnalités clés de son administration. L’objectif : les protéger des menaces de « poursuites judiciaires injustifiées et politiquement motivées » brandies par son successeur républicain Donald Trump.
Parmi les bénéficiaires de cette mesure exceptionnelle figurent notamment le général Mark Milley, ancien chef d’état-major des armées, Anthony Fauci, architecte de la stratégie anti-Covid de la Maison Blanche, ainsi que des élus et fonctionnaires ayant participé à une commission d’enquête sur l’assaut du Capitole le 6 janvier 2021. Des policiers ayant témoigné devant cette même commission sont également concernés.
Un acte de protection face aux menaces
Selon le communiqué de Joe Biden, cette décision intervient alors que « de manière inquiétante, des serviteurs de l’Etat ont fait l’objet de menaces et d’intimidations pour avoir rempli fidèlement leurs charges ». Le président démocrate, qui cédera le pouvoir à midi précise ce mardi, souligne que « certains ont même été menacés de poursuites judiciaires ».
Cette annonce fait suite à une autre grâce présidentielle étendue récemment accordée par Joe Biden à son fils Hunter, lui-même aux prises avec la justice et cible privilégiée des attaques de la droite dure américaine.
Une transition présidentielle sous haute tension
Si le rituel de courtoisie de la rencontre entre le président sortant et son successeur sera respecté ce mardi matin à la Maison Blanche, la tension reste palpable. Il y a quatre ans, enragé par sa défaite, Donald Trump avait en effet claqué la porte sans daigner recevoir Joe Biden, pas plus qu’il n’avait assisté à sa prestation de serment.
Aujourd’hui, les rôles sont inversés mais l’amertume demeure. En accordant ces grâces de dernière minute, Biden semble vouloir mettre ses proches à l’abri d’une vendetta annoncée. Une manière aussi de souligner les menaces qui pèsent sur l’Etat de droit dans une Amérique plus polarisée que jamais.
Des précédents historiques limités
Si les grâces présidentielles sont une tradition bien établie aux Etats-Unis, notamment en fin de mandat, leur utilisation à titre préventif pour protéger des alliés politiques reste extrêmement rare. Les précédents historiques en la matière sont peu nombreux et généralement entourés de controverses.
Ce fut notamment le cas en 1974 lorsque Gerald Ford gracia préventivement son prédécesseur Richard Nixon après le scandale du Watergate. Plus récemment, Bill Clinton fut accusé d’avoir accordé une grâce controversée au financier Marc Rich la veille de son départ en 2001.
Une décision qui soulève des questions
Au-delà du symbole, la décision de Joe Biden soulève néanmoins de nombreuses interrogations. Pour ses détracteurs, elle pourrait être perçue comme une forme d’obstruction à la justice visant à soustraire certaines personnalités à d’éventuelles poursuites.
D’autres y voient un dangereux précédent susceptible d’être utilisé à mauvais escient par de futurs présidents pour protéger leur entourage. Enfin, certains soulignent le risque de donner l’impression d’une justice à deux vitesses où les puissants bénéficieraient de passe-droits.
Face à ces critiques, Joe Biden assume sa décision. « Je crois en l’Etat de droit et je suis sûr que la solidité de notre système judiciaire finira par s’imposer face aux débats politiciens. Mais nous vivons dans des circonstances exceptionnelles et je ne peux pas, en bonne conscience, ne rien faire », a-t-il déclaré.
Un épilogue judiciaire encore incertain
Reste désormais à savoir quelle sera la réaction de Donald Trump et de ses alliés face à ce qu’ils pourraient percevoir comme une provocation. Le nouveau président saura-t-il faire preuve de retenue une fois aux commandes ou cédera-t-il à la tentation des représailles comme il l’a laissé entendre ?
De même, l’impact réel de ces grâces préventives sur d’éventuelles procédures judiciaires demeure incertain. Si elles offrent une protection contre des poursuites fédérales, elles n’empêchent pas d’éventuelles actions au niveau des Etats.
Une chose est sûre : l’épilogue judiciaire de cette saga présidentielle hors norme est loin d’être écrit. Les prochains mois nous diront si Joe Biden aura réussi son pari ou simplement jeté de l’huile sur le feu d’une Amérique déjà profondément divisée. Une Amérique où la frontière entre les batailles politiques et judiciaires n’a jamais semblé aussi ténue.