En l’espace de seulement quatre jours, la Turquie a été frappée par une série macabre d’empoisonnements à l’alcool frelaté. Pas moins de 33 personnes ont perdu la vie et 29 se trouvent dans un état critique, relançant avec force le débat déjà brûlant sur la politique gouvernementale en matière d’alcool et les taxes qui ne cessent de grimper.
Un drame aux origines troubles
D’après les informations rapportées par les médias turcs, plusieurs hommes auraient trouvé la mort après avoir consommé de l’alcool contrefait acheté dans un établissement turkmène d’Istanbul. Une bouteille de 50 cl leur aurait coûté 30 livres turques, soit environ 0,80 euro. Un prix dérisoire comparé au tarif du raki, l’alcool anisé traditionnel du pays, vendu au minimum 1300 livres (35 euros) le litre en supermarché. Et ce, dans un contexte où le salaire minimum avoisine les 600 euros.
Ces prix prohibitifs des boissons alcoolisées, globalement plus élevés en Turquie que dans l’Union Européenne, sont pointés du doigt comme l’un des principaux facteurs alimentant la production et la vente illégales d’alcool frelaté, aux conséquences souvent dramatiques.
L’ombre des taxes
Mustafa Adigüzel, député du CHP (parti social-démocrate), a vivement interpellé le gouvernement sur cette question mercredi devant le parlement turc. «Nous perdons au moins 500 personnes par an à cause de l’alcool contrefait. C’est un massacre, une tuerie de masse, et ce sont des morts causées par les taxes !», s’est-il indigné, exhortant à «remédier au prix exorbitant de l’alcool».
Les taxes permettent au gouvernement de récolter de l’argent facile tout en punissant politiquement un certain mode de vie. Mais des gens meurent à cause de ces politiques irresponsables et ouvertement idéologiques.
Çagin Tan Eroglu, co-coordinateur d’une association de surveillance des politiques publiques en matière d’alcool
Selon cet expert, le nombre de décès liés à l’alcool frelaté, bien que sous-estimé, croît de façon constante sous l’effet des hausses régulières des taxes, intervenant chaque semestre. Depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP, le parti islamo-conservateur du président Recep Tayyip Erdogan, en 2002, la taxe sur le raki a explosé de plus de 2500%. Une augmentation spectaculaire que l’inflation, même très forte, ne suffit pas à justifier, faisant grimper le prix de la boisson plus vite que les salaires.
Une politique clivante
Si l’alcool est plus répandu en Turquie que dans la plupart des pays musulmans, seuls 12% des Turcs disent en consommer selon les statistiques officielles. La hausse des prix affecte donc une minorité, pendant que le gouvernement promeut l’ayran, une boisson au yaourt, comme substitut national au raki.
Mais au-delà de l’enjeu sanitaire, c’est toute une politique qui est remise en cause, certains y voyant une volonté délibérée de stigmatiser les consommateurs d’alcool et de creuser le fossé socioculturel dans le pays. Un sujet explosif, sur lequel les autorités restent mutiques malgré l’ampleur prise par le drame à Istanbul.
La répression s’organise néanmoins, plusieurs personnes soupçonnées d’avoir vendu l’alcool mortel ayant été arrêtées. Mais pour beaucoup, traiter ces trafiquants de « terroristes », comme l’a fait le gouvernorat d’Istanbul, ne suffira pas. C’est toute la politique de l’alcool en Turquie qui doit être remise à plat pour éviter de nouvelles tragédies.