Un dîner pour le moins étrange. C’est ce qu’a dû expliquer ce jeudi Claude Guéant, ex-directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, devant le tribunal de Paris. En octobre 2005, ce proche de l’ex-président s’est retrouvé attablé en tête-à-tête avec nul autre qu’Abdallah Senoussi, beau-frère de Mouammar Kadhafi et chef des renseignements militaires libyens, lors d’un voyage à Tripoli. Une rencontre qui soulève bien des questions sur la nature des relations entre le clan Sarkozy et le régime du dictateur libyen.
Un « piège » bien orchestré ?
D’après les déclarations de Claude Guéant, c’est l’intermédiaire Ziad Takieddine qui l’aurait conduit à ce dîner improvisé, lui faisant rencontrer « quelqu’un de très important ». L’octogénaire affirme s’être retrouvé à sa « grande stupéfaction » face à Abdallah Senoussi, sans avoir été mis en garde. Pourtant, ce dernier avait été condamné par contumace en France à la réclusion criminelle à perpétuité pour son rôle dans l’attentat contre le DC-10 d’UTA en 1989, qui a fait 170 victimes dont 54 Français.
J’étais obligé de rester, je n’allais pas provoquer un incident diplomatique.
Claude Guéant
Pris au « piège », Claude Guéant assure être resté par obligation, ne voulant pas causer d’esclandre. Mais les questions fusent. Pourquoi s’être rendu seul à ce rendez-vous, sans en informer l’ambassadeur ? Ne craignait-il pas d’être photographié avec le sulfureux Senoussi et d’être victime d’un chantage ?
Des « bavardages » au goût amer
Que s’est-il dit lors de ce dîner ? Selon l’ancien bras droit de Sarkozy, lui et Senoussi ont « évidemment bavardé » et « abordé les relations entre la France et la Libye ». Mais pas question de financement de campagne, jure-t-il. La présidente du tribunal, Nathalie Gavarino, lui demande frontalement si la levée du mandat d’arrêt visant Senoussi a été évoquée, une des supposées contreparties au soutien financier accordé par la Libye. Claude Guéant concède que le sujet a sans doute été abordé, promettant d' »étudier la question », ce qu’il affirme n’avoir jamais fait.
Un procès qui lève le voile sur les dessous troubles
Ce curieux dîner s’inscrit dans le cadre du procès de Nicolas Sarkozy, soupçonné d’avoir conclu un « pacte de corruption » avec Mouammar Kadhafi. L’ex-président français aurait obtenu le financement de sa campagne présidentielle de 2007 par le régime libyen, en échange de faveurs et d’une réhabilitation sur la scène internationale. Claude Guéant et Brice Hortefeux, autres proches de Sarkozy, sont également jugés dans cette affaire tentaculaire.
Rien ne va dans la description de ce qu’il se passe, rien n’est logique, sauf si le but était d’évoquer autre chose.
Quentin Dandoy, procureur financier
Pour l’accusation, la rencontre entre Guéant et Senoussi n’a rien d’anodin. Deux mois plus tard, c’était au tour de Brice Hortefeux, alors ministre, de tomber dans le même « piège » d’un tête-à-tête avec le beau-frère de Kadhafi. Coïncidence troublante ou pièces d’un puzzle encore à assembler ? Le procès, qui se tient jusqu’au 10 avril, devrait permettre de faire toute la lumière sur ce volet libyen qui empoisonne Nicolas Sarkozy et son entourage depuis des années.
Un ancien président face à ses responsabilités
Pour l’heure, Nicolas Sarkozy nie farouchement les accusations, dénonçant un « complot » et un « scandale d’État ». Mais les révélations s’accumulent, mettant en lumière un système de financement occulte et des promesses faites au régime de Kadhafi. Si les faits sont avérés, c’est toute une page sombre de la Ve République qui s’écrira. Celle d’un ancien président prêt à bien des compromissions pour accéder au pouvoir suprême.
L’opinion publique retient son souffle dans l’attente du verdict. Au-delà du sort judiciaire de Nicolas Sarkozy, c’est la question de l’exemplarité et de la probité des plus hauts responsables politiques qui est posée. Un enjeu crucial pour la confiance des citoyens envers leurs dirigeants et les institutions de la République.