Dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, la Bosnie vient de franchir un pas décisif vers l’indépendance énergétique. Sous la pression insistante de Washington, l’une des deux entités du pays a adopté jeudi une loi ouvrant la voie à la diversification de l’approvisionnement en gaz, jusqu’ici entièrement dépendant de la Russie. Une décision lourde d’enjeux pour l’avenir de ce fragile équilibre balkanique.
Washington met la pression pour réduire la dépendance au gaz russe
Juste avant le vote crucial, l’ambassade américaine en Bosnie a adressé un communiqué sans équivoque aux députés. Qualifiant ce scrutin de « moment important », Washington a souligné qu’il s’agissait d’une « occasion de répondre à une préoccupation urgente en matière de sécurité nationale ». Un message on ne peut plus clair : en votant cette loi, la Bosnie se rapprocherait de « la communauté transatlantique des nations » et poserait « les bases pour mettre fin à la menace énergétique russe ».
Car jusqu’à présent, les 3,5 millions d’habitants de Bosnie dépendaient à 100% du gaz russe, acheminé par le gazoduc TurkStream via la Serbie voisine. Un cordon ombilical devenu politiquement explosif depuis l’invasion de l’Ukraine par Moscou. En 2022, le pays a consommé quelque 225 millions de m3 de gaz, un volume modeste mais vital pour son économie.
Vers une interconnexion gazière avec la Croatie
Le texte adopté jeudi par la chambre des peuples du parlement de la Fédération croato-bosniaque, l’une des deux entités qui composent ce pays, prévoit la construction d’une interconnexion gazière avec la Croatie voisine, dans le sud du pays. Celle-ci permettra de connecter la Bosnie à un terminal de gaz naturel liquéfié (GNL) situé sur l’île croate de Krk, diversifiant ainsi ses sources d’approvisionnement.
Cet ambitieux projet, chiffré à environ 200 millions d’euros, prévoit la construction d’un gazoduc de 180 kilomètres, dont 160 km en territoire bosniaque. Un investissement conséquent pour ce pays appauvri par les années de guerre.
Des défis internes à surmonter
L’adoption de la loi confère désormais au gouvernement central bosniaque le pouvoir de conclure un accord intergouvernemental avec la Croatie. Un pas en avant significatif dans ce pays au fonctionnement très décentralisé. Mais la création de cette nouvelle route gazière faisait débat depuis plusieurs années, le principal parti croate de Bosnie (HDZ) exigeant qu’elle soit construite et gérée par une nouvelle entreprise à dominante croate.
Un compromis a finalement été trouvé : le projet sera dirigé par la société publique existante, « BH Gas », qui sera réorganisée pour donner plus de leviers aux représentants croates. Un dosage subtil pour préserver les équilibres ethnico-politiques complexes en Bosnie.
Des enjeux géostratégiques majeurs
Au-delà des aspects techniques et financiers, le vote de jeudi revêt une importance géopolitique majeure. Il marque une prise de distance inédite de la Bosnie vis-à-vis de l’influence russe, sous l’impulsion active des États-Unis. Washington entend bien profiter de la crise ukrainienne pour renforcer son emprise dans les Balkans, une région historiquement déchirée entre Est et Ouest.
En diversifiant ses sources d’énergie, la Bosnie cherche aussi à renforcer sa souveraineté et sa marge de manœuvre sur la scène internationale. Un pari risqué mais nécessaire pour ce petit pays qui aspire à rejoindre l’Union européenne, tout en maintenant des relations apaisées avec ses voisins.
Alors que les regards sont braqués sur l’Ukraine, la partie d’échecs énergétique et géostratégique se joue aussi dans les Balkans. Avec ce vote, la Bosnie vient peut-être de faire un grand pas vers l’Ouest. Mais le chemin vers une véritable indépendance est encore long et semé d’embûches, dans cette poudrière européenne où les intérêts des grands se croisent et s’entrechoquent sans cesse.