C’est un événement qui pourrait marquer un tournant dans l’histoire récente de Cuba. José Daniel Ferrer, l’un des opposants les plus en vue du régime, vient d’être remis en liberté après plus de trois années passées derrière les barreaux. Une libération qui intervient dans le cadre d’un accord négocié entre le gouvernement cubain et l’église catholique, suite au retrait surprise de l’île de la liste noire américaine des pays soutenant le terrorisme. Mais au-delà de ce geste symbolique, quelles perspectives réelles pour l’avenir politique de Cuba ?
Un dissident historique enfin libre
À 54 ans, José Daniel Ferrer n’est pas un opposant comme les autres. Figure de proue de la dissidence cubaine depuis de longues années, il avait déjà fait partie des 75 prisonniers politiques arrêtés lors de la sombre période du « Printemps noir » en 2003. Condamné alors à 25 ans de réclusion, il avait finalement été libéré en 2011 grâce à une première négociation entre le pouvoir castriste et l’église. Mais en juillet 2021, alors que des manifestations antigouvernementales d’une ampleur inédite secouaient l’île, il retournait derrière les barreaux pour avoir tenté de se joindre au mouvement.
Son tort ? Avoir voulu exercer un droit fondamental pourtant inscrit dans la Constitution cubaine : celui de manifester pacifiquement son opinion. Un « crime » qui lui aura valu d’être déclaré « prisonnier d’opinion » par Amnesty International et de voir sa peine de prison alourdie à plusieurs reprises, jusqu’à atteindre quatre ans et demi. Mais contre toute attente, jeudi dernier, celui que le régime considérait comme un « mercenaire » à la solde de Washington a retrouvé la liberté, pour la plus grande joie de son épouse :
Nous venons d’arriver. Grâce à Dieu, il est à la maison.
Nelva Ortega, épouse de José Daniel Ferrer
Un deal diplomatique en coulisses
Si les autorités cubaines ont accepté de libérer José Daniel Ferrer ainsi qu’une vingtaine d’autres prisonniers, c’est avant tout le fruit d’intenses tractations en coulisses. Depuis plusieurs mois, des négociations se sont en effet engagées entre le gouvernement et l’église catholique, avec le soutien discret des États-Unis. L’objectif ? Obtenir des gestes d’ouverture de la part de La Havane en échange d’un allègement des sanctions américaines. Et force est de constater que cette stratégie a porté ses fruits.
Mardi dernier, dans une décision qui a pris tout le monde de court, le président Biden annonçait le retrait de Cuba de la fameuse liste noire des « États soutenant le terrorisme », sur laquelle l’île avait été placée dans les derniers jours du mandat Trump. Une décision lourde de sens, qui ouvre la voie à un réchauffement des relations entre les deux pays. Et en guise de réponse, dès le lendemain, le gouvernement cubain annonçait son intention de libérer pas moins de 553 prisonniers. Un accord « gagnant-gagnant » donc, savamment orchestré par l’église et qui pourrait bien changer la donne.
Des libérations en trompe-l’œil ?
Reste que malgré ces libérations, la route vers la démocratie à Cuba est encore longue et semée d’embûches. Si l’on en croit les organisations de défense des droits humains, il existerait toujours près d’un millier de prisonniers politiques sur l’île. Autant de « mercenaires » aux yeux du régime, qui nie farouchement détenir la moindre personne pour ses opinions. Et même pour ceux qui retrouvent la liberté, l’avenir est des plus incertains, dans un pays où toute forme de contestation reste sévèrement réprimée.
En témoigne la timidité des mesures prises par le gouvernement. Les prisonniers sont relâchés au compte-goutte, sans qu’aucune liste officielle ne soit publiée. Quant au processus de libération en lui-même, il demeure entouré du plus grand secret, alimentant les spéculations. De l’aveu même de leurs familles, certains détenus auraient ainsi été prévenus de leur remise en liberté quelques heures à peine avant de franchir les portes de la prison. Une opacité qui jette le trouble sur les réelles intentions du régime.
Une lueur d’espoir malgré tout
Cependant, en dépit de toutes ces zones d’ombre, la libération de José Daniel Ferrer et de ses compagnons d’infortune est un signal encourageant. Elle témoigne qu’un dialogue est possible et que des avancées, même modestes, peuvent être arrachées grâce à la pression internationale. Un constat qui redonne espoir à l’opposition cubaine, trop souvent vouée à la résignation.
C’est le cas de ces jeunes manifestants qui avaient été lourdement condamnés pour avoir osé descendre dans la rue en juillet 2021. Parmi eux, Marlon Brando Diaz, tout juste sorti de prison, qui ne cache pas son émotion :
Merci de m’avoir donné cette opportunité, encore une fois, dans la vie. C’est un nouveau départ
Marlon Brando Diaz, manifestant remis en liberté
Un nouveau départ, vraiment ? Tout dépendra de la capacité de la communauté internationale à maintenir la pression sur le régime cubain. Car si ces libérations sont une victoire, elles ne constituent qu’une première étape vers le respect des libertés fondamentales sur l’île. Les États-Unis l’ont bien compris, eux qui maintiennent pour l’instant l’essentiel de leurs sanctions, tout en laissant la porte ouverte au dialogue.
Mais les principaux acteurs du changement restent les Cubains eux-mêmes. Ces hommes et ces femmes qui, malgré la répression et les menaces, continuent de se battre jour après jour pour une société plus libre et démocratique. Des anonymes, comme José Daniel Ferrer, qui ont fait le choix de rester à Cuba pour mener ce combat de l’intérieur. Avec l’espoir qu’un jour, ils n’auront plus à payer le prix de leur engagement au prix de leur liberté.
Un avenir politique encore flou
Quelles suites donner maintenant à ces libérations ? C’est toute la question qui agite actuellement les cercles politiques à Cuba et à l’international. Si le gouvernement semble avoir fait un pas en avant, beaucoup s’interrogent sur sa réelle volonté de changement. Va-t-on assister à une timide ouverture démocratique ou au contraire à un durcissement du régime, une fois la pression retombée ?
Une chose est sûre, les prochains mois seront décisifs. Les États-Unis et l’Europe, qui semblent avoir trouvé un terrain d’entente sur le dossier cubain, devront redoubler de vigilance pour s’assurer que les engagements pris sont respectés. Quant à l’opposition, elle espère profiter de cette dynamique pour élargir son espace d’expression et peser davantage dans le débat public. Un défi de taille dans un pays où le parti unique règne sans partage depuis plus de 60 ans.
Mais au-delà des jeux de pouvoir, c’est l’avenir de toute une nation qui se joue. Une nation épuisée par des années de privations et de stagnation économique, qui aspire à plus de libertés et de perspectives. Les jeunes, en particulier, ne cachent plus leur lassitude face à un système qui les empêche de construire leur avenir.
On ne veut plus vivre comme nos parents et nos grands-parents. On veut pouvoir voyager, entreprendre, s’exprimer sans avoir peur. C’est un droit fondamental.
Une étudiante cubaine sous couvert d’anonymat
Un vent de changement souffle incontestablement sur Cuba. Reste à savoir s’il se transformera en brise légère ou en véritable tempête politique. Les prochains mois nous le diront. Mais une chose est sûre : après des années d’immobilisme, l’espoir d’un avenir meilleur est plus vivace que jamais dans le cœur des Cubains. Et cela, c’est déjà une révolution en soi.