Un rebondissement inattendu vient secouer le monde judiciaire. Le tribunal administratif de Paris a en effet estimé que l’État avait « commis une faute engageant sa responsabilité » en mettant publiquement en cause deux magistrats du parquet national financier (PNF) en 2020. Cette décision intervient dans le cadre de l’affaire qui avait valu un procès inédit à l’ancien ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti.
Retour sur un procès hors norme
Rappelons les faits. En novembre dernier, Eric Dupond-Moretti comparaissait devant la Cour de Justice de la République pour prise illégale d’intérêt. Il lui était reproché d’avoir ouvert des enquêtes administratives contre trois magistrats du PNF, alors même qu’il avait eu maille à partir avec eux lorsqu’il était avocat. Un conflit d’intérêts manifeste pour l’accusation, qui réclamait sa condamnation. Mais contre toute attente, l’ancien garde des Sceaux a finalement été relaxé au terme de ce procès sans précédent.
Ces deux magistrats ont demandé au tribunal de condamner l’État à les indemniser des préjudices subis à la suite de cette mise en cause publique, estimant notamment qu’elle portait atteinte à leur réputation professionnelle et à leur honneur.
Communiqué du tribunal administratif
L’État reconnu coupable de diffamation
Si Eric Dupond-Moretti est sorti blanchi de cette affaire sur le plan pénal, l’État vient en revanche d’être condamné au civil. Le tribunal administratif a en effet donné raison à deux des trois magistrats qui avaient porté plainte, estimant que leur mise en cause publique par le ministre de la Justice constituait une faute. Dans son jugement, il souligne que les propos tenus à leur encontre étaient « matériellement inexacts » et avaient porté atteinte à leur réputation professionnelle.
En conséquence, l’État a été condamné à verser 15.000 euros à Ulrika Delaunay-Weiss et 12.000 euros à Patrice Amar en réparation du préjudice subi. Un camouflet pour l’exécutif, même si le montant des dommages et intérêts reste mesuré au regard de l’ampleur médiatique de l’affaire.
Un signal fort pour l’indépendance de la justice
Au-delà de l’indemnisation des deux magistrats, cette décision revêt surtout un caractère symbolique. Elle rappelle en effet que même un ministre de la Justice ne peut pas impunément s’en prendre à des magistrats dans l’exercice de leurs fonctions. C’est un signal fort envoyé en faveur de l’indépendance de la justice et de la séparation des pouvoirs.
Cette affaire montre aussi toute la difficulté pour un avocat devenu garde des Sceaux de faire abstraction de son passé et d’incarner l’impartialité requise par la fonction. En ouvrant des enquêtes administratives contre des magistrats avec lesquels il avait eu des différends, Eric Dupond-Moretti s’est placé dans une situation intenable qui a fragilisé l’institution judiciaire.
Quelles suites pour les autres magistrats ?
Reste à savoir si cette condamnation de l’État aura des répercussions sur le troisième magistrat visé dans cette affaire, à savoir Éliane Houlette, l’ancienne cheffe du PNF. Blanchie comme ses collègues de toute faute disciplinaire, elle n’avait cependant pas saisi la justice administrative. Forte de cette décision, pourrait-elle à son tour demander réparation du préjudice subi ? L’avenir le dira.
Quoi qu’il en soit, la relaxe d’Eric Dupond-Moretti au pénal et la condamnation de l’État au civil ne permettent pas de tourner définitivement la page de ce dossier hors norme. Elles laissent au contraire un goût amer et un sentiment de gâchis, tant les conséquences de cette crise auraient pu être évitées avec davantage de discernement et de respect pour le travail de la justice.