Le monde du rugby français est sous le choc. Hugo Auradou et Oscar Jegou, les deux jeunes espoirs du XV de France mis en cause dans une sombre affaire de viol en Argentine l’été dernier, s’apprêtent à faire leur retour sous le maillot bleu. Une décision lourde de sens et de conséquences, qui suscite l’incompréhension et relance le débat sur la présomption d’innocence dans le sport de haut niveau.
Une affaire aux multiples rebondissements
Retour sur les faits. En juillet 2023, lors d’une tournée du XV de France en Argentine, Auradou et Jegou sont accusés de viol aggravé sur une jeune femme rencontrée en boîte de nuit. Inculpés et placés en détention provisoire, ils clament leur innocence, affirmant que la relation était consentie. En décembre, coup de théâtre : la justice argentine abandonne les poursuites en première instance, faute d’éléments suffisants. Mais le feuilleton est loin d’être terminé.
La plaignante décide en effet de faire appel de cette décision. Un nouveau procès doit ainsi se tenir les 10 et 11 février, en plein Tournoi des Six Nations auquel Auradou et Jegou pourraient donc participer sous les couleurs de la France. Un timing qui interroge, alors que la pression médiatique et sociétale autour de l’affaire est à son comble.
Le soutien sans faille des institutions
Depuis le début, les deux joueurs ont pu compter sur le soutien indéfectible de leur entourage rugbystique. Coéquipiers, staff, dirigeants, tous ont affiché leur solidarité envers Auradou et Jegou, considérés comme de grands espoirs à leur poste. Une confiance renouvelée par le sélectionneur Fabien Galthié qui n’a pas hésité à les rappeler dans sa liste élargie pour préparer le Tournoi.
Aujourd’hui, il y a un non-lieu qui est clair. Donc à partir du moment où il y a un non-lieu, on considère qu’ils sont innocents.
Fabien Galthié, sélectionneur du XV de France
Les clubs respectifs des deux joueurs, Pau et La Rochelle, ont également choisi de les réintégrer progressivement à l’entraînement et en compétition dès l’automne dernier. Un retour sur les terrains globalement bien accueilli par le public, malgré quelques voix dissonantes.
Des voix s’élèvent pour dénoncer un « deux poids, deux mesures »
Car cette confiance quasi-aveugle accordée à Auradou et Jegou passe mal auprès de certains observateurs. Des associations féministes montent au créneau pour dénoncer un traitement de faveur réservé aux sportifs de haut niveau, au détriment de la parole des victimes.
Le temps de la justice est essentiel, mais cela ne dispense pas d’être attentif à ce que les plaignantes disent.
Sophie Burlier, porte-parole d’Osez le féminisme 17
Pour Maëlle Noir du collectif #NousToutes, « il ne s’agit pas d’une question de justice mais de morale », rappelant que « la justice ne condamne pas suffisamment les agresseurs » dans les affaires sexistes et sexuelles. Un constat partagé par de nombreuses militantes, qui estiment que le monde du sport en général, et celui du rugby en particulier, a encore beaucoup de chemin à faire en matière de lutte contre les violences faites aux femmes.
Un électrochoc pour faire bouger les lignes ?
Au-delà du cas individuel d’Auradou et Jegou, cette affaire a en tout cas eu le mérite de provoquer une prise de conscience dans le milieu du rugby. Clubs et fédération ont ainsi pris des mesures pour mieux encadrer la vie extra-sportive des joueurs et prévenir les dérapages, avec notamment l’instauration d’un « cadre de performance » prohibant la consommation d’alcool.
Mais pour beaucoup, ces initiatives restent insuffisantes face à l’ampleur du problème. Le retour express des deux joueurs sous le maillot bleu, avant même que la justice ne se soit définitivement prononcée, envoie un message ambivalent. Celui d’un rugby français tiraillé entre sa volonté de changement et le poids de ses vieilles habitudes. Un sport qui, s’il veut réellement se réinventer, devra apprendre à placer l’éthique et le respect au-dessus des résultats et des egos. Le chemin sera long, mais il en va de sa crédibilité et de son avenir.